Entretiens

Management

Qui t’a fait leader ?

11/06/2020

La crise sanitaire conduit à reconsidérer le management. Réflexions sur la place et le rôle de ceux qui mènent, animent et inspirent les équipes dans les entreprises. Entretien avec Olivier Hausheer, AxéoSens, « développeur de leaders »*

Un « leader », pour quoi faire ? La question se pose-t-elle avec plus d’acuité, sur fond de crise sanitaire ?

Olivier Hausheer : Un leader sert à réussir, c’est celui qui conduit une équipe, une organisation, une entreprise vers le succès, y compris et surtout dans les moments difficiles. La crise actuelle le confirme : quand les conditions sont faciles, tout le monde peut prétendre être un leader ; avec la crise certains émergent comme leaders et d’autres qu’on avait crus tels ne l’ont pas été. Pour être leader dans une situation difficile il faut d’abord comprendre cette situation, ce qui demande ouverture d’esprit et écoute, puis donner une vision aux autres, pour qu’ils se mobilisent, trouvent du sens aux décisions prises, et déployer des facultés d’agir dans des situations changeantes. La crise est un révélateur de caractères, de personnalités. Et de capacité à la transformer en opportunité. Soulignons deux autres qualités du leader : l’exemplarité et la cohérence, les deux étant intimement liées, comme le prouve le protocole sanitaire durant le déconfinement.

Avec le télétravail, peut-on exercer ce rôle à distance ?

O. H. : Beaucoup d’entreprises ont découvert le télétravail, souvent contraintes et forcées, comme beaucoup de personnes. Il a mis en évidence une autre composante : la confiance. C’est l’absence de confiance qui est à l’origine de la réticence au télétravail. Ne pas voir ses troupes, ne pas savoir ce qu’elles font, ne pas passer dans les bureaux pour vérifier que tout le monde travaille…, ce contrôle est difficile à abandonner. La confiance, c’est la confiance en soi avant la confiance en les autres.

Le dirigeant doit-il être homme-orchestre ?

O. H. : Surtout pas ! Plutôt chef d’orchestre, pour obtenir le meilleur des musiciens. Ne pas trop parler, tout est dans la gestuelle, le ton, le regard, la posture, et dans la juste adaptation à la situation. La vraie difficulté est de mener l’orchestre sur un terrain meuble, et de faire jouer les instruments par des musiciens qui ne les maîtrisent pas totalement. Cette image pour illustrer la nécessité de se mettre en question pour trouver avec une équipe le chemin collectif du succès après d’éventuels échecs.

À quel niveau managérial un « leader » est-il le plus efficace ?

O. H. : À tous les niveaux, avec chaque fois une affaire de dosage. Dans un comex, il faut développer des capacités à donner du sens, une vision dans laquelle tous les salariés vont se retrouver. Le comex ne doit pas pour autant se couper du management intermédiaire, qui requiert des qualités d’écoute, d’empathie auprès des équipes…

Ni caractère ni fonction, mais un rôle

Tout manager est-il un « leader » ?

O. H. : Tordons le cou à l’idée reçue qu’il y aurait d’un côté le manager tendance petit chef, autoritaire et mal aimé, et de l’autre le leader charismatique pétri de qualités. Manager, c’est d’abord une fonction, celle d’encadrer, quel que soit le nombre de personnes. Le leader, lui, emmène son équipe vers le succès. Il est préférable pour un manager d’être aussi un leader, ça lui simplifier la vie ! Mais on peut être leader sans être manager, sans avoir de responsabilité d’encadrement. Le point commun à tous les leaders, qu’ils soient managers ou pas, est d’être heureux dans ce qu’ils font et transmettent.

Sommes-nous tous appelés à être des « meneurs », des « animateurs » et « inspirateurs », ou est-ce réservé à une élite managériale ?

O. H. : « Leader », en soi, ne veut pas dire grand-chose. Mener, oui, mais vers où ? Animer, inspirer, pourquoi pas, mais dans quel but ? Il y a une notion de chemin – tracer la route –, une notion d’action, car on n’est pas leader, on agit en tant que leader. Chacun d’entre nous possède des capacités pour tracer la route, chacun a en soi sa part de champion. Il faut la connaître, mesurer la dose de singularité, et vouloir la développer, parfois dans la douleur…

Qui fait le leader ?

O. H. : Être leader, ça ne se décrète pas, ça se construit. Et ce sont les autres qui adoubent ou pas. Il y a différents stades dans la construction d’un leader. Ce qui le fait, c’est la confrontation avec le réel, comme aujourd’hui la crise sanitaire. Pour commencer, il y a le leadership naturel, celui que nous avons tous quand nous décidons de l’exercer. Celui qui ne parle jamais dans une équipe exerce paradoxalement un leadership fondé sur la rareté de sa parole, à la condition qu’il ne devienne pas un ermite. Nul besoin d’être volubile pour être charismatique. Le leadership projeté concerne particulièrement le manager dans ses premiers pas, fraîchement nommé, qui agit par mimétisme de son ancien chef ou d’une figure d’autorité, comme il a vu faire avant. Le leadership situationnel est très efficace mais rarement compris et bien déployé, car il repose sur la connaissance des besoins de l’autre, selon son degré de compétence notamment (beaucoup de managers ont un style monodimensionnel ; il devrait être pluridimensionnel). Le leadership « en mode dégradé » a été le plus visible durant les deux mois de confinement : c’est celui que nous utilisons toutes les fois que nous sommes stressés ou soumis à des conditions de travail dégradées. Enfin le leadership choisi est celui d’une personne qui a fait le tour du sujet, a été confrontée à de multiples situations et qui choisira de la manière la plus écologique d’être un leader : éco car cela lui prendra le moins d’effort possible, et logique par rapport à la situation donnée.

Se connaître pour connaître les autres

La taille de l’entreprise, son statut (familiale, SA, scop..), son secteur, sa culture, déterminent-ils aussi le leadership ?

O. H. : On peut parfois associer des types de leadership à des cultures d’entreprise. Les PME dont le fondateur est toujours aux commandes, ou ses descendants, ont une culture fondée sur la tradition avec un leadership directif. Les jeunes générations peuvent avoir du mal à l’accepter. À l’inverse, les startups suivent un modèle alternatif fondé sur la délégation. Certaines grandes entreprises ont accepté, au fil du temps, d’intégrer des profils très différents, y compris dans le comité de direction, pour les faire travailler ensemble. De même qu’un leader doit être pluridimensionnel, l’entreprise doit diversifier sa culture.

Le leader est-il un révélateur de talents ? Les DRH doivent-elles être plus vigilantes sur les caractères, les personnalités qui irriguent l’équipe et toute l’entreprise ?

O. H. : Le leader est souvent conduit à identifier en quoi chacun des membres qui constituent son équipe est unique et contribue au succès collectif. Il doit se comporter comme un sélectionneur de l’équipe de France. Ce travail de détection et de développement demande du temps, et de l’attention à chacun ; et c’est en s’intéressant d’abord à lui-même, en sachant comment il fonctionne, qu’il pourra mieux s’intéresser aux autres. C’est une des clés de la réussite.

Autre difficulté : cette démarche doit être soutenue par les ressources humaines avec un état d’esprit humaniste et des outils adaptés. Or beaucoup n’apportent pas l’énergie nécessaire, se perdent en formations standardisées, comme dans cette mode du management des couleurs : associer des comportements à des couleurs, rouge on doit parler comme ci, vert comme ça ! Il est plus rentable pour l’entreprise que le leader s’intéresse à chacune des personnes de son équipe, plutôt que d’utiliser une cartographie grossière des comportements et de ranger les personnes dans des cases.

Lui revient-il d’affecter le salarié à la bonne place, au bon poste ? Doit-il être un « leader-coach » ?

O. H. : Oui, à la bonne place et au bon moment. Leader ou manager et coach, il est tentant d’associer les deux rôles. Mais c’est réducteur pour un manager, qui doit aussi recruter, former, sanctionner, récompenser, promouvoir… Le coach est une des facettes du leader, pas la seule.

Est-il force de proposition pour définir la raison d’être de l’entreprise ?

O. H. : Assurément, et pas seul, car il doit impliquer chacun des membres de son équipe pour être force de proposition.

* www.axeosens.com.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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