Entretiens

Emballages, une révolution en cours

01/03/2021

Les usages, la réglementation et les attentes des consommateurs ont imprimé la voie à suivre, et des échéances sont arrêtées. Pour y atteindre, il faut autant de progrès dans l’écoconception et dans les techniques de recyclage. Entretien avec Fabrice Peltier, auteur de la Révolution de l’emballage ; première période, l’émergence de nouvelles solutions [1].

Vous écrivez que « nous sommes dans la première période de la révolution de l’emballage ». Quelles sont les Bastilles à prendre ?

Fabrice Peltier : En ce début de révolution, celui qu’on accuse de tous les maux, « l’aristo » qu’on doit mettre à la lanterne, c’est le plastique. Non pas tant le plastique en lui-même que les déchets plastiques qui s’accumulent dans les océans et qui seront bientôt plus nombreux dans les eaux que les poissons…

Cette révolution passe-t-elle par plus de normes ?

F. P. : Je dirais plutôt que ce sont les réglementations françaises et européennes promulguées depuis peu de temps qui ont déclenché cette révolution. J’en parlais en 2018 lorsque j’ai écrit L’Emballage à l’aube de sa révolution. Cet ouvrage annonçait les demandes d’interdiction de mises sur le marché de certains emballages ; auparavant on arrêtait de bonnes pratiques et des taux à atteindre, les lois n’étaient pas très contraignantes, elles portaient essentiellement sur la réduction à la source et des objectifs de taux de recyclage. Avec la directive “single use plastic” et la loi Agec, le couperet est tombé sur certains emballages, et ce n’est qu’un début. Ce sont ces interdictions de mise sur le marché qui déclenchent la révolution, puisqu’un certain nombre d’industriels sont obligés de changer leur méthode de production. En effet, très peu de produits, particulièrement dans l’alimentaire, existent sans emballage. L’industrie agroalimentaire fabrique essentiellement des produits emballés ; sans emballage, peu de denrée arrivent intactes dans l’assiette des consommateurs. Aussi, interdire des types d’emballages sur certains marchés appelle les metteurs en marché à faire leur révolution, au risque de disparaître. Le temps des bonnes intentions est terminé, d’autant qu’une série de nouvelles règles et contraintes ne vont pas tarder à arriver pour appeler à accélérer le mouvement…

Nouveaux circuits, perception et taxation des déchets ménager

Le coût économique global de cette révolution, pour une entreprise, peut-il vraiment être connu ?

F. P. : Pour celui qui ne fera rien, il sera catastrophique, car il débouchera sur une interdiction de commercialisation. Pour les autres, il y aura à l’évidence un coût économique, mais ce sera un investissement pour assurer la continuité et un meilleur avenir. La plupart des entreprises ont un cycle de production avec un système d’emballage qui est sur le plan économique très bien calibré, parfaitement optimisé. On peut comprendre qu’elles n’aient pas envie de changer ce qu’elles ont mis des années à mettre au point et qui est parfaitement rodé. Cependant trois autres facteurs de la vie de l’emballage doivent être pris en compte : la distribution, la consommation et la fin de vie.

La distribution est aussi en pleine mutation. Les emballages d’aujourd’hui ont été conçus pour un type de commerce, le modèle du supermarché et de l’hypermarché. L’essor de la vente par internet, du drive, du vrac, des magasins de proximité, s’accentue, avec des emballages qui ne correspondent pas à leurs contraintes. Ces nouveaux canaux n’ont pas d’autre choix d’emballages que ceux de la grande distribution. Deuxième changement : quelle soit réelle ou bâtie sur des rêves, la perception qu’ont les consommateurs des produits emballés a basculé vers le « moins », voir pour certains vers le « zéro emballage ». On leur demande depuis vingt-cinq ans de trier leurs emballages pour qu’ils soient recyclés. Ils ne comprennent pas pourquoi certains emballages en plastique ne sont pas recyclés et se retrouvent dans la nature. Ils déplorent que la majorité des emballages en plastique ne soient pas recyclés. Ils réclament donc la fin des emballages non recyclables. Enfin, la poubelle, dernière phase de vie de l’emballage : les emballages non recyclables vont être de plus en plus taxés, puis interdits. Entre-temps on va peut-être obliger les industriels à indiquer des informations sur la recyclabilité de leur emballage…

La transition est-elle freinée par des idées fausses sur certains matériaux. Le carton, par exemple, est-il responsable de la déforestation ?

F. P. : On sait depuis longtemps que les papiers-cartons ne sont pas responsables de la déforestation. Ils sont produits à partir de forêts éco-gérées. On ne fait pas de coupes franches de forêts et ce n’est pas à partir des parties nobles du bois qu’on récupère les fibres. Il circule également beaucoup d’idées fausses sur les agro-matériaux, la biodégradation… Chacun y va de son slogan pour sauver la planète.

Nouveaux codes

Les consommateurs sont-ils attachés à un matériau d’emballage en particulier ?

F. P. : On note depuis longtemps que les matériaux d’emballage qui ont la meilleure image sont le verre et le papier-carton, car ils sont les plus recyclables et les plus recyclés. Cependant, pour la quasi-totalité des consommateurs, un emballage respectueux de l’environnement est un emballage 100 % recyclable.

Certains produits voient-ils leurs ventes baisser en raison d’un emballage qui séduirait moins les consommateurs (plastiques recyclés présentant moins d’éclat et de couleur) ?

F. P. : Je ne connais pas d’étude qui le démontre. Par contre, certaines montrent que les emballages à l’apparence recyclée, kraft et couleur verte, des plastiques grisés munis d’explications, sont synonymes de respect de l’environnement. Il s’agit de nouveaux codes, de nouveau aspects qui vont se faire accepter sans problème. Le consommateur ne demande pas des emballages blancs ou immaculés, il ne demande pas de la transparence sur tous les produits. Quand Barilla a enlevé en Angleterre la fenêtre sur ses emballages, ne laissant que la photo du produit, ses ventes n’ont pas diminué.

Il semble que chaque matériau ait ses avantages et ses inconvénients. Les papiers-cartons ont vu leur usage progresser grâce à l’e-commerce mais devraient être « plastifiés » par nécessité pour réaliser une barrière étanche ; un emballage primaire souple n’étant pas « autoporteur » nécessiterait un emballage secondaire…

F. P. : La composition d’un emballage dépend du type de produits qu’il contient et des fonctions qu’on souhaite lui faire remplir. Un monde sans plastique dans l’emballage, ce n’est aujourd’hui pas possible. Mais un avenir proche avec beaucoup moins de plastique est tout à fait envisageable. Il n’existe pas une solution unique de substitution, mais de nombreuses pistes qui permettent d’arriver au « juste emballage » : un emballage éco-conçu pour exécuter sa mission sans surenchère. Il peut être en carton ou en plastique, ou être un complexe, car des emballages en papier-carton qui contiennent des produits gras ou liquides doivent être plastifiés Les matériaux sont destinés à vivre ensemble et dans tous les cas il faut en utiliser un minimum, si possible recyclé et 100 % recyclable.

Dans l’attente du recyclage chimique

Le tout recyclable : un vœu pieu ?

F. P. : Pas un vœu, et bientôt une obligation. En 2030, les emballages non recyclables seront interdits par la Commission européenne. Les industriels non pas d’autre choix que penser 100 % recyclable. Pour être tout recyclable, il faut faire de la « recyclo-conception », c’est-à-dire concevoir des emballages faciles à recycler pour qu’ils soient effectivement recyclés par l’industrie du recyclage. Par exemple, moins on a de pièces qui composent l’emballage, plus c’est facile, car il faut les séparer au préalable. Quant aux matériaux complexes, ils vont effectivement poser des problèmes de recyclage, nous savons que ce ne sera pas possible avec le recyclage mécanique, et nombreux sont ceux qui attendent le recyclage chimique.

De nouvelles technologies vont-elles permettre de rendre dissociables les matériaux dont l’amalgame empêche le recyclage ?

F. P. : Oui, mais nous en sommes aux balbutiements, dans la phase de la recherche-développement et des prototypes industriels. Mais ce ne sont pas les progrès de recyclage qui vont régler le problème du recyclage, car ce sera toujours plus cher et pas forcément bénéfique pour l’environnement. C’est avant tout la conception de l’emballage à recycler qui va le faciliter ou non. Il faut choisir le bon sens. Les technologies n’interviennent que pour recycler plus et mieux.

Nous ne recyclons que 25 % des emballages plastiques. L’objectif de 50 % fixé par Bruxelles pour 2025 est-il à portée ?

F. P. : Actuellement 50 % des emballages plastiques ne sont pas recyclables, et sur les 50 % restant, seulement la moitié l’est. Il faut donc interdire les 50 % qui ne sont pas recyclables et recycler une partie de ceux qui ne le sont pas encore aujourd’hui. Va-t-on y arriver en 2025, j’en doute.

Le modèle Tupperware

Mieux considérés que le plastique, le verre, l’acier et l’aluminium pourraient selon vous ne pas échapper au « vent de la révolte ». Pour quelles raisons ?

F. P. : Dans la première période de la révolution, c’est le plastique qui est visé. La deuxième période est déjà tracée par la loi Agec, avec l’interdiction en 2040 des emballages plastique à usage unique. Mais est-ce le plastique qui est visé, ou l’usage unique ? Même s’il est censé « simplifier la vie », l’usage unique n’est pas toujours justifié. Il va falloir s’interroger sur les emballages qui pourront être réemployés, consignés ou non. Cela va obligatoirement concerner le verre, le métal et l’aluminium, qui sont utilisés dans des emballages à usage unique. Mais ce sera aussi une opportunité pour le plastique, qui à l’image de Tupperware sait réaliser des contenant à usage multiple depuis le siècle dernier.

Quels sont l’avenir et le périmètre envisageables pour la consigne en grande distribution ?

F. P. : On associe le réemploi à la consigne, mais on peut avoir l’un sans l’autre. Il y a deux types de consignes : la consigne pour recyclage, comme en Suède ou en Finlande, où le consommateur paie et est remboursé quand il rapporte l’emballage pour qu’il soit recyclé ; et la consigne pour réemploi, quand le consommateur rapporte l’emballage pour qu’il soit récupéré pour être nettoyé et rempli à nouveau par un industriel. Dans ce cas, c’est tout un réseau à mettre en place, car il faut organiser la logistique pour rapporter les emballages, les nettoyer et les livrer chez l’industriel. La consigne et le réemploi vont pour un certain nombre de produits connaître un essor, car la loi impose d’avoir 5 % des emballages utilisés réemployés en 2035 et 10 % en 2037. Mais cela ne peut pas concerner tous les produits ni tous les circuits de distribution.

 1. All4Pack, 2020 ; voir aussi le Livre blanc l’Emballage à l’aube de sa révolution, All4Pack, 2018.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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