Entretiens

Un label qui gagne le Nord

09/07/2021

Des affaires, pas de l’aide : pionnier depuis trente ans du commerce équitable de produits provenant de pays en développement, Max Havelaar propose de certifier les céréaliers et les éleveurs laitiers français économiquement fragiles. Il souhaite associer des marques à son engagement. Entretien avec Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France.

Les enjeux ont-ils changé depuis la naissance du label de Max Havelaar et qu’est-ce qu’un label équitable aujourd’hui ?

Blaise Desbordes : Oui, ils ont changé depuis la création de l’association en 1988. Cette époque était marquée par une forte césure entre les pays développés à pouvoir d’achat et consommation élevés et les pays pauvres, producteurs de denrées exotiques mais très quotidiennes comme le café, le cacao, le sucre. Aujourd’hui, les cartes sont un peu brouillées : des classes moyennes et supérieures sont apparues dans les pays anciennement pauvres et l’approche du consommateur est plus intégrée, car lui-même tient compte de ces changements, constatant qu’il y a de la richesse dans le Sud et de la pauvreté dans le Nord. Un label de commerce équitable est de plus en plus justifié aussi bien dans le Nord que dans le Sud, et plus ouvert en termes de filières, là où le besoin d’équité est criant. Du domaine alimentaire, nous nous sommés élargis au textile et à d’autres secteurs. Et la loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014 a ouvert le commerce équitable aux pays développés.

Qu’est-ce qu’un commerce équitable français à l’aune des critères Max Havelaar ?

B. D. : Le label Max Havelaar repose sur quatre piliers Au-delà des relations commerciales, nous avons le pilier social, faire appliquer les conventions de l’OIT sur les droits sociaux là où ils semblent inexistants, le pilier environnemental et le pilier démocratie économique, l’autonomie de décision. Notre cahier des charges impose à tout producteur d’être membre d’une organisation collective, afin de ne pas souffrir des termes de l’échange.

Les interférences territoriales au cœur de la certification française

En quoi votre expérience acquise dans le commerce équitable Nord-Sud peut servir en France ?

B. D. : La première expérience transmissible est celle qui porte sur le prix équitable. Notre mode de calcul pragmatique de ce prix tient compte des coûts de production, qui doivent être bien couverts, ce qui n’est malheureusement pas le cas chez bon nombre d’agriculteurs, qui sont obligés de se diversifier. Ce prix doit tenir compte des coûts d’une production durable internalisant des externalités aujourd’hui ignorées dans le prix. Notre label apporte une valeur additionnelle entre par exemple des produits à bas coûts avec OGM et des produits premium sans OGM. Il ne s’agit pas de proposer un prix déconnecté de la réalité du marché et nous sommes très soucieux de consulter toutes les parties. Notre procédure prend douze mois et intègre les acheteurs, les négociants, les marques, les agriculteurs, les experts, les ONG, les pouvoirs publics.

Autre expérience : la dimension territoriale, car la production à l’endroit A n’est pas la même qu’à endroit B, les coûts de production diffèrent, comme les prix de la banane ivoirienne ou de celle de la République dominicaine. La notion territoriale sera un drapeau fort de Max Havelaar en France. La France étant un pays très développé, il se peut que la dimension sociale soit moins mise en avant.

Producteurs du Sud et du Nord ont-ils de nombreux intérêts convergents ?

B. D. : Oui, comme je viens de le dire, sur le prix juste l’intérêt est totalement convergent. “Trade not aid” est notre fil rouge : du commerce équitable mais pas de l’assistance. Dans les années 1980, les caféiculteurs, particulièrement au Mexique où Max Havelaar a été créé, étaient très sensibles à leur dignité et étaient fiers d’être producteurs. Ce principe demeure aussi bien au Nord qu’un Sud, où les producteurs sont pénalisés par des prix spéculatifs déconnectés de la vie réelle. On ne peut plus continuer à détruire des territoires agricoles pour satisfaire certaines méthodes de trading, qui n’ont plus lieu d’être même si elles sont très rentables sur le plan boursier. Nous devons lutter contre la volatilité des prix.

Autre intérêt convergent : construire une visibilité à long terme pour savoir de quoi demain sera fait. C’est une sécurité sur le plan psychologique pour le producteur et pour l’investisseur agricole, qui sait où il va investir car il connaît déjà le prix. Troisième intérêt convergent : la prime de développement équitable, qui permet d’investir dans l’éducation, les équipements de soins, un laboratoire qualité pour trouver de nouveaux clients, la création d’un poste de marketing… Cette prime représente aujourd’hui 200 millions d’euros dans notre dispositif Nord-Sud et touche 1 700 organisations du Sud. Cela leur permet de choisir leur avenir, d’investir là où cela leur semble primordial. Le paysan doit avoir la main sur ce qui semble important pour lui. Cette prime de développement s’ajoute au prix, elle est délibérée par la coopérative chaque année.

L’œil sur les factures et la négociation commerciale

Vous êtes réputés dans les filières cacao, café, coton ; demain le lait, la viande, le blé ?

B. D. : Nous souhaitons lancer une innovation en France sur le lait et le blé, nous dialoguons avec cinq coopératives de lait et trois de blé. Nous construisons ensemble une logique de label. Nous sommes ouverts au dialogue sur le plan stratégique avec les autres filières. Pour l’heure, nous privilégions le lait et le blé car nous voulons associer en 2021 et 2022 les productions françaises avec les productions historiques de Max Havelaar. C’est être fidèle à notre histoire, aux producteurs du Sud qui veulent comprendre la synergie entre le Nord et le Sud. C’est aussi créer un lien unique, conscient, transparent, traçable, entre des gens qui subissent une maltraitance au Nord et au Sud; par exemple une crème au chocolat sera composée de lait français du Poitou-Charentes et de cacao et de sucre du Sud ; ou un pain au chocolat fait de blé français du Gers et de fèves de cacao du Sud.

Quels sont les critères d’éligibilité au label Max Havelaar en France ? Vous souhaitez mobiliser les marques, quels types de marques et comment ?

B. D. : C’est l’éligibilité des paysans et des marques, entreprises fabricantes et metteuses en marché. Celle concernant les paysans est la plus aisée, car ce sont eux que nous voulons aider. Il faut être un groupement de paysans dans un des soixante-douze pays du Sud, en développement, avec lesquels nous travaillons. Ils doivent subir un audit de notre part pour bien vérifier qu’ils feront respecter les piliers sociaux et environnementaux. Enfin la coopérative doit respecter les critères de démocratie, de vote sur la prime collective…

De l’autre côté de la chaîne, nous proposons un autre cahier des charges aux négociants fabricants, qui ont bien sûr d’autres priorités que la production agricole. Ce cahier des charges s’attache à la traçabilité du produit et au respect du prix. Les vérifications se feront dans les facturiers, les chaînes de commercialisation, les négociations commerciales. Enfin, il faudra respecter la position du label, car la marque est notre trésor, commun à 1 700 organisations de producteurs, les paysans pauvres que nous aidons, et à 3 500 entreprises du Nord partenaires. Citons parmi les grandes marques Nespresso et Malongo.

Que pouvez-vous apporter de singulier par rapport aux autres labels ?

B. D. : Nous nous distinguons d’autres associations prônant le commerce équitable par une indépendance marquée, dans une structure non lucrative. Nous ne sommes pas une émanation d’entreprises ou de coopératives. Cela garantit la pérennité de notre cahier des charges, pour un petit acteur ou pour un grand, pour un vulnérable ou un puissant, quant au respect ds quatre piliers sans être influencé par tel ou tel lobby. Deuxième singularité de Max Havelaar : son universalité. Nous sommes un mouvement mondial avec une gouvernance mondiale, les producteurs ont 50 % des voix et les ONG 50 % également. Enfin, nous sommes un système de garantie qui répond aux normes ISO 1700065 sur la certification indépendante. Notre taux de confiance dans l’opinion est de 80 % . Ce sont les consommateurs qui, ayant confiance, vont entraîner le mouvement.

Volumes garantis requis

Vous travaillez sur la France depuis vingt-quatre mois, avez-vous associé des IAA ou des marques à votre réflexion ?

B. D. : Oui, mais nous avons été confrontés au problème de la poule et de l’œuf : il y a en France de la matière disponible, du blé et du lait déjà équitables, pour envisager un produit. Mais du côté des producteurs, on nous a répondu que l’engagement est possible à la condition d’un volume suffisant et garanti… Nous sommes cependant bien avancés avec les paysans et une dizaine de coopératives, mais du côté des IAA et des marques, je ne peux pas encore vous donner de noms, simplement signaler que deux enseignes de distribution et une demi-douzaine de marques nationales sont intéressées, dont deux dans l’univers du chocolat et des glaces, principalement pour augmenter leur taux de produits équitables dans leur gamme. Et nous avons un dialogue avancé avec deux laiteries. Les grandes marques ont besoin d’une offre diversifiée et doivent mettre un pied dans le commerce équitable labellisé.

En quoi Max Havelaar peut contribuer à valoriser des filières, et quelles sont vos recommandations pour assurer un revenu stable aux agriculteurs, éleveurs ?

B. D. : Dès 2017 nous avons été invités dans les tables rondes des ÉGA, dont celle consacrée à la valeur pour le producteur. Nous avons proposé notre dispositif et nous avons été en partie entendus. Des mécanismes réglementaires ont été retenus. Notre proposition se situe entre le libre marché où les agriculteurs sont maltraités et la réglementation, qui atteint ses limites. Sur la base du volontariat, avec les paysans et les marques, nous avons recruté plus de  cinq mille organisations économiques qui trouvent un bénéfice et une satisfaction à faire du commerce équitable. Nous avons agréé en 2020 en France 622 nouveaux produits, et nous en sommes à près de  cinq mille références. Un ménage français sur deux achète un produit équitable dans l’année. Pour assurer un revenu stable, notre proposition est de partir de la fin : quel est le revenu souhaitable, vital ? Réponse des filières : entre 1,5 et 2 smic. Aussi le prix équitable Max Havelaar est retrocalculé : combien faudrait-il vendre la tonne de lait, de blé pour atteindre ce minimum vital ?

Plus de trois cents entreprises certifiées en France

Comment souhaitez-vous, dans le cadre du processus législatif qui a commencé avec la propo­si­tion de loi « visant à proté­ger la rému­né­ra­tion des agri­cul­teurs », dite Égalim 2, impliquer les IAA dans votre démarche ? De quelles marges de manœuvre vous paraissent-elles disposer ?

B. D. : Je crois qu’Égalim 2 est une bonne nouvelle, car elle va plus loin vers le prix juste. La conscience semble progresser du côté des marques et des entreprises. Nous sommes disponibles pour rencontrer des parlementaires et apporter notre brique originale et efficace au dispositif. Le volontariat change tout ! Le commerce équitable affiche une progression à deux chiffres alors que les ventes traditionnelles sont étales. Les consommateurs votent avec leur chariot et les marques avec leur gamme. Depuis le 1er janvier nous avons agréé vingt nouveaux partenaires. Nous avons été auditionnés par le groupe de travail sur la souveraineté alimentaire, car le commerce équitable est un puissant outil de cette souveraineté : on sécurise un producteur, un territoire, qui peuvent mieux servir la population locale et mieux exporter.

Avez-vous déjà engagé des expériences pilotes et dans quels secteurs et zones géographiques en France ?

B. D. : Pour le lait, c’est la région Poitou-Charentes, et pour le blé, le Gers.  Nous sommes ouverts à d’autres territoires qui ont besoin de nos garanties, certainement un gros tiers des territoires français.

Quelles sont les entreprises de l’industrie agroalimentaire qui arborent votre label ?

B. D. : Elles sont tau nombre de 320 en France et 3 300 au niveau mondial. En France, c’est une majorité de PME comme Malongo, Lobodis, les cafés Richard, café Chapuis, etc. soit plus de quatre-vingts torréfacteurs français. Pour le chocolat nous avons les Chevaliers d’Argouges, Bovetti ou Tony’s, une marque néerlandaise qui vend en France depuis quelques mois. Notre cahier des charges est le même pour toutes les entreprises, sans exclusivité.

Quel délai vous donnez-vous pour juger de la pertinence de votre label et de votre projet pilote en France ?

B. D. : Dix-huit mois. Nous ne jugerons ni sur la taille ni sur le volume atteint, mais sur le fait d’embarquer les professionnels concernés, les agriculteurs qui ont besoin d’équité, les transformateurs qui ont besoin de dégager de la valeur à leur niveau, les marques et les consommateurs.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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