Entretiens

Bleue comme une orange

24/05/2022

Pour que la Terre le reste (bleue), une fondation bat le rappel des entreprises autour de l’“ODD 14” des Nations unies. Parce que la mer est à tous, et que tous doivent à la mer. Entretien avec Alexandre Iaschine, délégué général de la Fondation de la Mer.

Comment va l’Océan ? Qu’est-ce qui le menace le plus ?

Alexandre Iaschine : Notre planète est une exception parce qu’elle est bleue. L’Océan est essentiel à la préservation de la vie sur Terre et à son équilibre. Au quotidien, nous avons tous besoin d’un océan en bonne santé, et pourtant son état se dégrade rapidement. Cette dégradation est directement ou indirectement liée aux pressions exercées par l’homme. Pollution chimique et physique, surpêche, artificialisation des littoraux, destruction des écosystèmes : les dommages sont énormes, mais nous pouvons encore agir. Dans ce contexte, toutes les entreprises ont un rôle à jouer, comme sur l’ensemble des sujets environnementaux.

Quels acteurs regroupe la Fondation de la Mer [1], qu’apporte-t-elle depuis sa création en 2015, et quel est son modèle économique ?

A. I. : La Fondation de la Mer est au service de tous ceux qui se mobilisent pour la protection et la gestion durable de l’océan. Elle œuvre également pour que ceux qui n’agissent pas encore puisse s’engager avec des outils adéquats. À la fois opérateurs et redistributeurs, nous agissons avec les principaux instituts scientifiques, les ministères en lien avec l’océan, de nombreux partenaires opérationnels et un réseau de deux cent cinquante ONG. La Fondation est essentiellement financée par des fonds privés : entreprises de toutes tailles, fondations et donateurs particuliers. Les subventions publiques ne représentent que 10 % de notre budget.

Son approche globale des enjeux liés à l’océan fait la spécificité de la Fondation de la Mer. Avec nos partenaires, nous cherchons à renforcer les retombées des projets que nous soutenons, et à aider le passage à l’échelle des projets. La mobilisation des acteurs privés est un axe important des missions de la Fondation. Nous voulons aider les entreprises à intégrer l’océan dans leur stratégie de transformation.

L’oublié des stratégies RSE

L’« objectif de développement durable 14 » des Nations unies (ODD) [2], qui vise à « conserver et exploiter de manière durable les océans », est-il souvent pris en considération par les entreprises dans leur stratégie RSE, hors celles dont l’activité est directement liée à l’exploitation de ressources marines ?

A. I. : Alors que la plupart des grandes entreprises utilisent les ODD pour structurer leur démarche RSE, elles ne sont que 14 % à faire référence à l’ODD 14 qui vise l’océan. En parallèle, 91 % des entreprises du SBF 120 ayant intégré les ODD à leur stratégie font référence à l’ODD 13 sur le changement climatique. Cela s’explique en partie par le fait que les entreprises ont une compréhension très partielle de leurs interactions avec l’océan. Lorsqu’une entreprise n’a pas de lien direct avec l’océan à travers ses opérations, il lui est difficile de comprendre son impact sur les écosystèmes marins et côtiers. La Fondation de la mer a développé des outils pour les y aider.

Comment la Fondation sensibilise-t-elle les entreprises aux conséquences de leurs activités ?

A. I. : Pour agir, les entreprises doivent d’abord comprendre et identifier leurs nombreuses relations avec l’océan. La Fondation de la Mer a créé, en partenariat avec le Boston Consulting Group, le Référentiel Océan : une traduction opérationnelle de l’ODD14. Cet outil s’adapte à chaque entreprise en lui permettant de se fixer des objectifs et d’identifier les actions concrètes les plus pertinentes en accord avec sa stratégie.

La Fondation les aide-t-elle à réduire leurs impacts directs et indirects (gestion de l’eau et des déchets, émission de gaz à effet de serre, écoconception, économie circulaire…) ?

A. I. : Le label Ocean Approved, créé par la Fondation de la Mer en partenariat avec Bureau Veritas, distingue les entreprises qui s’engagent dans une démarche d’amélioration continue de leurs impacts sur l’océan, au-delà des réglementations en vigueur. Les entreprises peuvent bénéficier d’un accompagnement de la Fondation visant à éviter ou à diminuer leurs impacts négatifs, et le cas échéant à développer leurs impacts positifs.

Abondement public

Quels leviers préconisez-vous : actions spécifique, soutien financier (bourses de recherche), mécénat de compétence… ?

A. I. : Il existe de nombreux moyens de s’engager : mécénat financier ou mécénat de compétence, arrondi aux caisses ou arrondi sur salaire, produit partage, mobilisation des salariés et sensibilisation des clients. La Fondation travaille étroitement avec les entreprises, y compris pour la construction de certains programmes. Nous proposons un catalogue de programmes, validés par notre conseil scientifique, pour lesquels nous garantissons la pertinence, la solidité des porteurs de projets et les retombées sur le terrain. Nous cherchons à maximiser notre efficacité et celle de nos mécènes. Par exemple, dans le cadre de notre programme SOS Corail qui vise à protéger et à restaurer les récifs coralliens, les herbiers et les mangroves, l’État abonde à l’euro près chaque don à la Fondation de la Mer. Un don de 10 000 euros effectué par une entreprise ne lui coutera que 4 000 euros avec la déduction fiscale et son impact sur le terrain sera de 20 000 euros avec l’abondement de l’État.

“Name and shine”

Avez-vous des liens avec l’Institut océanographique Pernod Ricard ? Et avec des ONG comme Greenpeace ou WWF ?

A. I. : Nous parlons bien sûr avec tous les acteurs engagés pour l’océan. L’approche de la Fondation de la Mer diffère parfois de celle d’autres ONG. Pour créer un mouvement en faveur de l’océan le plus large possible, nous voulons entraîner tous les acteurs dans une logique de “name and shine” : identifier les bonnes pratiques et les mettre en valeur pour ensuite les généraliser.

Combien d’entreprises participent à votre opération « Un geste pour la mer » [3], contre la pollution au plastique ?

A. I. : Ce programme fédère plus de deux cents associations, partout sur le territoire, pour organiser des collectes de déchets et des opérations de sensibilisation. La Fondation soutient ces associations, notamment sur le plan financier. En 2021, plus de deux cents tonnes de déchets ont été ramassées dans la nature, mobilisant trente-cinq mille bénévoles. Avec ce programme, les entreprises peuvent s’engager simplement et concrètement : en organisant sous l’égide de la Fondation des collectes de déchets avec leurs salariés ou leurs partenaires, en faisant un don défiscalisé à la Fondation pour soutenir les associations de notre réseau. De nombreuses entreprises organisent des collectes de déchets clé en main. Elles sont aussi de plus en plus nombreuses à soutenir financièrement le programme, avec des dons de toutes tailles.

La Fondation a-t-elle fait école hors de France ? Est-elle reconnue par les institutions internationales ?

A. I. : Des fondations pour l’océan existent dans de nombreux pays, cependant l’approche holistique portée par la Fondation de la Mer est à ma connaissance unique. À l’étranger, nous travaillons avec des partenaires opérationnels spécialistes de chacun des sujets que nous portons. Nous sommes reconnus par les institutions et nos programmes sont parfois officiellement soutenus ; c’est le cas de nos outils « ODD 14 » destinés aux entreprises, qui ont été labellisés par l’ONU.

[1] https://www.fondationdelamer.org.       
[2] https://www.un.org/fr/exhibit/odd-17-objectifs-pour-transformer-notre-monde.           
[3] https://www.ungestepourlamer.org.       

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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