Entretiens

Recrutement : obligation de convaincre

26/09/2022

Le salaire est redevenu prioritaire dans le choix d’un emploi, mais pour les jeunes générations le sens du travail et la quête de compétences nouvelles restent essentiels, sur un marché du travail qui leur est encore favorable. Entretien avec Claude Calmon, fondateur du cabinet de recrutement Calmon Partners.

« Grande démission », « grande rotation », « démission silencieuse » : la crise sanitaire aurait suscité une « grande interrogation » sur l’emploi parmi les actifs, mais les données officielles (Dares) portent à en relativiser l’importance [1]. Quels signes y voyez-vous ?

Claude Calmon [2] : On constate un déséquilibre entre l’offre et la demande : pour la première fois depuis longtemps, les candidats sont en position de force vis-à-vis des employeurs. Précisons, pour confirmer les chiffres de la Dares, que les gens qui démissionnent ne disparaissent pas. Un trou noir ne s’est pas subitement créé. On observe des temps de pause plus longs, entre deux métiers, celui que l’on quitte et celui que l’on choisit, qui répond mieux aux attentes, au projet. Les rotations sont plus longues. Deuxième changement : on quitte un emploi sans être assuré d’en avoir immédiatement un autre. Les candidats n’ont plus peur de l’inconnu. Mais si beaucoup de gens ont radicalement changé d’emploi en s’engageant dans une nouvelle activité, d’autres sont revenus vers leur ancien employeur après avoir cherché si l’herbe était plus grasse ailleurs.

Quête de sens, salaires insuffisants, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, refus des hiérarchies, pessimisme sur les perspectives d’ascension… Quels sont les critères les plus décisifs dans les choix ?

C. C. : Les gens ne veulent plus travailler de la même façon, sans se poser des questions sur le sens qu’ils donnent à leur activité, sur son utilité. L’équilibre vie professionnelle et personnelle est également recherché. La marque-entreprise ne suffit plus à attirer. On voit donc fleurir les entreprises « à mission », « engagées », « libérées », pour séduire les candidats. Observons que le salaire redevient cette année le premier critère de choix des candidats, alors que les études le relativisaient l’année dernière. Les candidats ne sont pas prêts à brader leurs compétences sur fond de retour de l’inflation. Le salaire revient donc au cœur des négociations.

Le travail hydride est également discuté, beaucoup de candidats ayant gouté au plaisir de travailler chez soi. Pour autant, il est difficile de définir des règles concernant le travail à distance, car ce mode relève d’un choix très personnel. Beaucoup de gens l’ayant mal vécu, pour des raisons d’espace dans leur appartement et de gestion des enfants, ont souhaité revenir dans leur entreprise. Bon nombre d’entre elles ont aussi fait le choix du présentiel majoritaire, compte tenu des grandes difficultés advenues sur le plan managérial pour gérer des équipes à distance, avec des outils balbutiants.

Manque d’éducation

Les critères de choix diffèrent-ils entre les acteurs de la « grand-démission » (actifs) et ceux de la « bifurcation » (étudiants) ?

C. C. : Je ne pense pas, car les étudiants ont pris conscience de l’importance d’un salaire confortable pour démarre dans la vie. Pour autant, les autres critères de sélection des étudiants qui diffèrent de ceux des actifs portent sur la relation avec le management, la hiérarchie. Les générations Y et Z sont plus exigeantes que les précédentes dans la recherche de sens à leur travail. Elles souhaitent bien comprendre les enjeux de l’entreprise. Elles sont en demande de responsabilité, s’ennuient très vite, et sont donc en quête de formation, d’apprentissage, de montée en compétence pour davantage de flexibilité.

Une offre de travail « hybride » compte-t-elle davantage dans l’attractivité des emplois pour les jeunes générations ?

C. C. : Nous manquons de recul pour définir des règles concernant l’attractivité de cette offre en termes de productivité, de confort. Les démarches sont très personnelles. Il est de gens pour qui travailler chez soi est un enfer, quand d’autres ne supportent plus d’aller au bureau et souhaitent combiner les deux. Cela conduit à s’interroger sur la culture d’entreprise, son rôle, son avenir.

Les processus de recrutement et d’intégration des jeunes ont-ils changé par rapport à ceux de leurs prédécesseurs ? Quels sont les écueils à éviter ?

C. C. : Oui, car sur la totalité des marchés nous sommes en quasi plein emploi. Au moment du recrutement, le rapport de force a changé. Nous sommes entrés dans une logique de séduction du côté de l’employeur, qui met en avant l’attractivité du poste plutôt que de mettre au défi le candidat. Les processus de recrutement à rallonge qui font revenir plusieurs fois le candidat ont disparu. De plus en plus de candidats s’engagent, signent un contrat de travail mais ne viennent pas le jour « j », car ils ont continué leur recherche. Les recruteurs-intermédiaires se heurtent à un manque de transparence, de confiance, de civisme : d’éducation.

Salarié recruteur, une raison d’en être

La « raison d’être » qu’affiche une entreprise est-elle un argument auquel les jeunes sont plus sensibles ? Devrait-elle être travaillée dans le sens de la « symétrie de l’engagement », ou « symétrie des attentions » entre l’entreprise employeuse et ses salariés ?

C. C. : Les sociétés communiquent de plus en plus sur leur raison d’être. Certaines deviennent des entreprises à mission. Oui, cela parle de plus en plus aux jeunes, qui souhaitent s’engager dans des activités qui dépassent leur zone professionnelle. Ils souhaitent contribuer au bien commun.

Quels sont les leviers d’action RH pour leur proposer une meilleure « raison d’en être » ?

C. C. : Les entreprises qui, par leur culture, ont réussi à créer de la fierté d’en être, engagent les salariés sur le long terme et peuvent en faire des « ambassadeurs » par des formes de recommandations aux personnes de leur entourage. Certaines sociétés intéressent financièrement les salariés qui recrutent, plutôt que de payer des cabinets de recrutement.

Que valent pour les recrues potentielles les « valeurs » affichées au fronton des entreprises ? Une direction incarnée, exemplaire, est-elle susceptible de primer ces valeurs revendiquées ?

C. C. : Cela participe de la communication marketing, de la publicité que les candidats interrogent, parfois contestent, de plus en plus. Ils placent les entreprises face à leurs contradictions, qui se transforment parfois en “bad buzz”, au risque d’atteindre leur réputation. Avec les réseaux sociaux, tout se sait très rapidement. Aussi l’incarnation par la direction, mais aussi par le management intermédiaire, est-elle fondamentale. À condition qu’il n’y ait pas de dissonance…

[1] La Dares observe que 470 000 Français ont délaissé un CDI au premier trimestre de 2022, soit 20 % de plus qu’en 2019, mais qu’une hausse du taux de démission est « normale » en phase de retournement de cycle : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-france-vit-elle-une-grande-demission (NDLR).
[2] https://www.calmonpartners.com.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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