Entretiens

Emploi senior, volontarisme bien compris

05/06/2023

Dans une entreprise où les plus de 55 ans pèsent le quart de l’effectif, une stratégie générale répondant au souci de fidéliser l’ensemble des personnels, assortie de mesures ciblées quand la retraite se profile, sécurise toutes les parties. Entretien avec Élodie Gourmellet, VP HR France et Suisse, Automatic Data Processing.

À défaut de définition par le Code du travail, la catégorie des « seniors », selon l’Insee, vise les 55-64 ans. Mais la politique de l’emploi des seniors définie en 2005 dans un « Accord national interprofessionnel » considère les salariés comme seniors au-delà de 45 ans ! Selon votre expérience de DRH, quel est le bon seuil de la « séniorité » ?

Elodie Gourmellet : En tant que DRH, la définition de l’Insee me paraît refléter la réalité, à savoir les seniors sont les 55 ans et plus.

Selon l’Insee, sous l’effet des réformes successives des retraites, le taux d’emploi des 50-64 ans est passé de 53,5 % en 2003 à 63,3 % en 2020. Mais celui des 60-64 ans n’est que de 30 % , alors que la moyenne européenne est de 45 % . Quelles sont ces proportions, et leur évolution, dans votre entreprise ? [1]

E. G. : En 2023, nous avons environ quatre cents salariés de 55 ans et plus dont une centaine de 60 ans et plus. Ces deux catégories ont considérablement progressé chez ADP en France depuis cinq ans. Entre décembre 2017 et avril 2023, les 55 ans et plus sont passés de 12 à 20 % , et les 60 ans et plus, de 2 à 5 % .

Selon vous, quels sont les idées reçues – moindre motivation, moindre productivité, coût élevé, résistance au changement… – les plus tenaces en entreprise à l’endroit des seniors ?

E. G. : Je ne sais pas quelles sont les idées reçues dans les autres entreprises. Chez ADP nous n’en avons pas ! Chaque personne compte et nous faisons toujours tout pour que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, quel que soit son âge, son sexe, son origine, etc. Nous sommes le leader mondial des solutions de gestion du capital humain et nous avons à cœur de faire grandir nos talents, de les garder le plus longtemps possible, car l’expertise et l’expérience des femmes et des hommes qui travaillent chez ADP sont des éléments essentiels de notre réussite.

Accompagnement, modulation du temps et plan pour l’après

Le rapport de la mission Bellon-Mériaux-Soussan [2] consacré à l’emploi des seniors appelait à « favoriser des transitions plus progressives entre pleine activité et pleine retraite ». Les dispositifs en vigueur y prédisposent-ils ? Et dans votre pratique de DRH, qu’avez-vous pu faire en ce sens ?

E. G. : Effectivement, certains salariés peuvent souhaiter une transition plus progressive entre la pleine activité et la pleine retraite. Nous voulons évidemment qu’une telle transition puisse se faire sur la base du volontariat et nous proposons deux dispositifs allant dans ce sens, étant entendu qu’ils sont complémentaires. Tous nos salariés de 55 ans et plus, qui souhaitent travailler à 80 ou 90 % , bénéficient du maintien des cotisations retraite salariales et patronales à 100 % . Et ceux de 60 ans et plus ont accès également à une réunion d’information collective, à un entretien individuel avec un conseiller retraite spécialisé, à un stage de préparation d’une journée pour participer à différents ateliers et aborder notamment les questions liées à la transmission ou à la santé. Ils ont par ailleurs la possibilité de faire un bilan de prévention psycho-médicosocial. Et le tout est bien entendu pris en charge à 100 % par ADP et s’effectue sur le temps de travail.

Par ailleurs nous accompagnons nos seniors qui souhaitent se projeter dans leur vie d’après avec notre « Projet Association ». Les seniors dont le départ à la retraite est prévu dans l’année ont la possibilité d’obtenir jusqu’à six jours d’absence rémunérés pour s’investir dans une association, dès lors que celle-ci est reconnue d’intérêt général et conforme aux valeurs d’ADP.  

Chez AdP, les fins de carrière ont fait l’objet d’un accord d’entreprise. Quelles ont été les classes d’âge concernées et combien pèsent-elles dans l’ensemble du personnel ? 

E. G. : En avril 2022, nous avons signé un accord de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) dont un des objectifs est de faciliter le départ à la retraite des seniors. Nous avons mis en place des actions pour les 55 ans et plus, pour les 60 ans et plus et pour tous ceux qui partent à la retraite dans l’année. Ce dispositif concerne directement quatre cents salariés en France qui ont 55 ans et plus, dont cent qui ont 60 ans et plus, sur les 2 100 salariés d’ADP basés en France.

Les attentes de mesures telles que celles contenues dans l’accord étaient-elles plus ou moins les mêmes dans toutes les catégories d’emplois ?

E. G. : Chez ADP, nous avons plus de 80 % de cadres. Toute notre politique RH et toutes nos actions sont identiques, quelle que soit la catégorie d’emploi, nous ne faisons aucune distinction.

Formation tout au long de la vie professionnelle

Avez-vous mis en place une réduction du temps du temps de travail pour certaines fonctions ? Avec quel niveau de salaire, et quel niveau de cotisation de retraite ? Et à quel coût au final pour l’entreprise ?

E. G. : Tous nos salariés de 55 ans et plus qui souhaitent travailler à 80 % ou 90 % bénéficient du maintien des cotisations retraite salariales et patronales à 100 % .

Votre accord inclut-il des mesures de formation pour les seniors ? Dans vos métiers, jusqu’à quel âge la formation professionnelle garde-t-elle du sens

E. G. : Tous nos salariés, quel que soit leur âge, sont concernés par la formation, et ils sont tous formés tout au long de leur vie chez ADP, évidemment même en fin de carrière. La diversité et l’inclusion sont deux valeurs fortes chez ADP et nous ne saurions tolérer aucune discrimination, y compris basée sur l’âge. Nous n’avons donc pas besoin d’inclure de telles mesures.

Faites-vous le constat d’une forte motivation des seniors pour la transmission de leur compétences et savoir-faire auprès des jeunes ? Qu’avez-vous mis en place pour y répondre : tutorat, détachements auprès d’organismes de formation, modules internes, jours associatifs rémunérés… ?

E. G. : Nous avons chez ADP de fortes compétences techniques, dans de nombreux métiers. Tous nos salariés sont concernés par la transmission de leurs compétences et, en plus de formations internes, nous avons aussi de robustes programmes de mentorat et de tutorat, mais ici encore, sans aucune distinction d’âge.

Quels aspects non directement liés au travail (offre de soins par exemple) peuvent utilement entrer dans le cadre d’un accord d’entreprise « seniors », pour favoriser leur maintien dans l’emploi ?

E. G. : Nous faisons en sorte de fournir la meilleure assurance complémentaire possible à l’ensemble de nos salariés et n’avons pas mis en place d’offres spécifiques pour des catégories en particulier.

Combien d’organisations représentatives ont-elles signé votre accord d’entreprise seniors ? Quels vous ont paru être les motifs des non-signataires ?

E. G. : En avril 2022, nous avons signé un accord de GEPP avec trois organisations syndicales sur cinq. Les deux  autres auraient préféré qu’il soit plus ambitieux en général, mais le volet concernant les seniors n’était pas au centre de ce débat-là.

Ni index senior ni préretraites

La création d’un « index seniors » envisagée par la récente réforme des retraites [3] vous paraîtrait-elle de nature à inciter une entreprise comme la vôtre à recruter davantage de seniors ?

E. G. : En l’état actuel, il n’y a pas d’index senior dans le droit français. En tout état de cause, s’il y en avait un, cela ne changerait pas la politique volontariste d’ADP qui est de garder nos salariés : nous avons une ancienneté moyenne de quatorze ans et un âge moyen de 47 ans en France, avec un turnover inférieur à 5 % , ce qui est excellent par rapport aux autres entreprises de service. De façon plus générale, on ne peut régler que ce que l’on peut mesurer. Si un index senior devait voir le jour, nos équipes seraient sur le pont pour accompagner nos clients à utiliser au mieux leurs données RH, afin de se mettre en conformité avec la législation, bien entendu, mais aussi pour leur donner accès à des indicateurs pertinents et pour les aider à piloter et mesurer l’impact de leurs actions.

Avez-vous recours au « CDD senior » [4], et quel bilan en faites-vous?

E. G. : Non, nous avons très peu de CDD chez ADP.

Compte tenu de l’évolution des politiques publiques en matière d’emploi et de retraite, va-t-on vers la disparition des politiques de préretraite dans les entreprises ?

E. G. : Chez ADP, nous sommes convaincus que les salariés doivent préparer sereinement leur retraite, et nous leur proposons un certain nombre de dispositifs sur la base du volontariat comme évoqué précédemment. Nous estimons aussi qu’il est de notre responsabilité sociale et sociétale de leur permettre de travailler jusqu’au moment de faire valoir leurs droits à la retraite et nous ne sommes pas favorables à la mise en place de politiques de préretraite dans notre entreprise.

[1] Selon la Dares la France est en seizième position pour l’emploi des plus de 55 ans parmi les pays de l’Union européenne.
[2] Rapport au Premier ministre de Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexo, Olivier Mériaux, ancien directeur général adjoint de l’Anact et Jean-Manuel Soussan, de Bouygues Construction, janvier 2020, https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/mission-sur-le-maintien-en-emploi-des-seniors-rapport-au-premier-ministre.
[3] Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
[4]  https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F15759.

Propos recueillis par François Ehrard et Jean Watin-Augouard

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