Entretiens

Entreprises et territoires

Région Sud : valoriser sur place

29/10/2025

La coopération entre acteurs économiques est l’une des clés pour dynamiser la région méditerranéenne, dont l’agriculture et l’agroalimentaire subissent de fortes contraintes (climat, eau, emploi…). Mais l’ex-Paca conserve ses atouts. Entretien avec Bénédicte Martin, vice-présidente de la Région Sud, chargée de l’agriculture, de la viticulture, de la forêt, de la mer et de l’agroalimentaire.

Comment définiriez-vous aujourd’hui le profil économique et notamment agricole de la Région Sud ?

Bénédicte Martin : Notre région est de taille modeste par rapport aux grandes régions issues des fusions administratives, comme l’Occitanie ou la Nouvelle-Aquitaine, qui sont en outre d’importants terroirs agricoles. Mais elle conserve un poids considérable par la diversité de ses productions et la vitalité de ses filières. Nous avons la chance de profiter d’une agriculture diverse : viticulture, arboriculture, maraîchage, cultures spécialisées, élevage de montagne… Elle produit une mosaïque d’exploitations de tailles et de modèles divers, souvent familiales, parfois innovantes, toutes ancrées dans un territoire où la culture agricole est forte. Cette diversité est une richesse économique ; l’agriculture régionale pèse 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires ; C’est aussi une garantie de résilience : si certaines filières souffrent, d’autres prennent le relais. L’amande et la pistache, par exemple, connaissent une belle dynamique, tandis que la trufficulture s’impose comme un produit à haute valeur ajoutée. En revanche, la viticulture et les plantes à parfum, parmi nos piliers historiques, subissent de fortes tensions économiques et climatiques.

Le climat méditerranéen serait-il une contrainte autant qu’un atout ?

B. M. : Ce climat qui a longtemps été un avantage devient une source de fragilité. La douceur hivernale et l’ensoleillement favorisent une grande variété de productions, mais la sécheresse récurrente et les épisodes de chaleur extrême affaiblissent désormais les cultures, même pour des productions réputées résistantes, comme la vigne ou l’olivier. De plus, nous devons composer avec des ressources en eau inégalement réparties. Les grandes plaines agricoles bénéficient du château d’eau des Alpes, la Durance et le Verdon, grâce à des infrastructures exemplaires gérées par la Société du Canal de Provence ou les ASA (associations syndicales autorisées). Mais d’autres territoires, comme le centre du Var ou le nord du Vaucluse, sont en tension hydrique. Or c’est un enjeu stratégique : sans eau, pas de production. Nous travaillons donc à des projets de substitution et d’interconnexion, pour sécuriser l’approvisionnement agricole à long terme.

Tissu agroalimentaire vivant mais vulnérable

L’eau devient donc le nerf de la guerre ?

B. M. : Absolument. L’eau conditionne notre souveraineté alimentaire et la survie de certaines filières. La région investit dans la modernisation des réseaux d’irrigation, afin de réduire les pertes et de mieux répartir la ressource. Nous privilégions une approche sobre et concertée, en mobilisant les acteurs locaux, les syndicats d’irrigation, les chambres d’agriculture et les collectivités. L’enjeu est de garantir un usage équitable entre les besoins agricoles, urbains et environnementaux, tout en anticipant la raréfaction de la ressource. L’adaptation passera aussi par l’innovation variétale, la recherche sur la résistance à la chaleur et la diversification des cultures. L’agriculture méditerranéenne a toujours su se réinventer ; elle devra le faire plus vite encore.

Comment la région soutient-elle ces mutations ?

B. M. : Notre action repose sur trois leviers : investir, former et innover. D’abord, nous soutenons l’investissement via le Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural), qui finance la modernisation des exploitations et des entreprises agroalimentaires. Les demandes explosent : en deux ans, nous avons engagé autant de crédits que durant toute la période 2014–2022. Cela montre la vitalité du secteur, malgré les difficultés. Ensuite, nous misons sur la formation et l’installation. Avec la nouvelle PAC, la Région a récupéré la gestion des aides à l’installation des jeunes agriculteurs, ce qui nous permet d’adapter les dispositifs au terrain. Nous observons une reprise des installations, signe que l’agriculture attire à nouveau, notamment dans les circuits courts ou les productions de qualité. Enfin, nous travaillons sur la préservation du foncier : nous avons créé, avec la Safer, la société coopérative Terres Adonis, dotée d’un fonds régional pour faciliter l’accès au foncier et maintenir le potentiel agricole. Protéger les terres irrigables est une priorité du Schéma régional d’aménagement.

Le tissu agroalimentaire régional joue un rôle essentiel dans cette dynamique. Comment se porte-t-il ?

B. M. : Il se porte bien, même s’il reste vulnérable. La Région Sud compte un maillage dense de TPE et PME agroalimentaires, souvent familiales, à côté de grands acteurs comme Panzani, implanté historiquement à Marseille. Ces entreprises sont innovantes : elles ont investi massivement entre 2017 et 2020 dans la modernisation des procédés, dans la qualité et la durabilité. Le pôle de compétitivité Innov’Alliance, qui regroupe les filières des saveurs, senteurs et agroalimentaires, fédère cette énergie. Nous accompagnons aussi les nouveaux projets, grâce à l’agence d’attractivité Rising Sud, et encourageons les coopérations entre production, transformation et recherche. Le but est de renforcer les synergies locales, pour que les produits régionaux soient transformés et valorisés sur place.

Un label “100 % Valeurs du Sud”

Le recrutement est un autre défi. Comment y répondez-vous ?

B. M. : C’est un enjeu majeur. L’agroalimentaire est un gros pourvoyeur d’emplois, mais les entreprises peinent à recruter. Nous mobilisons nos compétences en matière de formation professionnelle et de lycées agricoles pour ouvrir des cursus adaptés aux besoins des filières. Nous finançons à en totalité les équipements pédagogiques, modernisons les ateliers et les exploitations des lycées, et nous soutenons des projets innovants menés avec l’Aria et le CTCPA (Centre technique de la conservation des produits agricoles), qui ont ouvert de nouveaux espaces de formation. L’objectif est de rendre les métiers plus attractifs pour les jeunes.

Des exemples de réussites illustrant cette politique ?

B. M. : Plusieurs entreprises locales incarnent cette stratégie de valeur ajoutée et de relocalisation. L’entreprise Charles & Alice, à Monteux, illustre la réussite d’une PME qui a su allier innovation, durabilité et ancrage territorial. Dans un autre registre, Sacré Willy, jeune société laitière installée dans les Hautes-Alpes, a contribué à redonner de la valeur à la filière lait, longtemps en déclin dans notre région. Ces réussites prouvent que la transformation locale est la clé : plus on transforme sur place, plus on valorise la production et la rémunération des agriculteurs. Cette logique est au cœur de notre pacte régional « Produisons et consommons responsable », qui promeut les produits régionaux et les circuits de proximité. Le label « 100 % Valeurs du Sud » en est la traduction concrète : il garantit un approvisionnement régional, une transparence sur l’origine et une juste rémunération du producteur.

La Région Sud mise donc sur ce label plutôt que sur le terme « Provence » ?

B. M. : Oui, car le mot « Provence » est juridiquement très encadré par l’INAO : il ne peut être utilisé librement sans lien à un signe officiel de qualité. Le label « 100 % Valeurs du Sud » permet de rassembler toutes nos filières, des Alpes à la Méditerranée, sous une bannière commune, lisible et fédératrice. C’est une marque collective, ouverte à toutes les productions agricoles et agroalimentaires de la région, qui repose sur la qualité, la traçabilité et l’équité. C’est aussi un outil de valorisation commerciale : il aide les consommateurs à identifier les produits régionaux dans la grande distribution et à soutenir une économie locale durable.

Quelles perspectives voyez-vous pour les prochaines années ?

B. M. : Nous voulons une agriculture méditerranéenne résiliente, fondée sur la recherche, la coopération et la diversification. L’innovation est le fil conducteur : qu’il s’agisse de variétés adaptées, d’irrigation de précision, de circuits courts ou de transformation locale, c’est elle qui permettra de concilier performance économique et durabilité. Nous avons tous les atouts : des terres fertiles, des filières dynamiques, des chercheurs de haut niveau et des agriculteurs courageux. Mais il faut leur donner de la visibilité et de la confiance. La transition agricole se fera par la concertation, la connaissance et la persévérance. L’agriculture régionale n’a jamais cessé de s’adapter. Elle continuera à le faire, mais avec une exigence nouvelle : celle de produire mieux, avec moins, dans un environnement plus contraint. L’enjeu, c’est de rester un territoire fort, innovant et nourricier. Et de faire de la Région Sud une référence méditerranéenne.

Panzani, enracinée en Provence

Dans le Sud se concentre une grande partie de la culture du blé dur français. Le blé dur est un symbole de la Provence – voir Giono et la polenta de son hussard – et à l’origine de la marque Panzani. Entre Marseille et Vitrolles elle compte quatre sites de production : deux semouleries, une usine de pâtes et une unité de couscous, qui emploient quatre cents personnes. Pourtant, la première fabrique Panzani est née dans les Deux-Sèvres, dans les années 1950, avant que le groupe ne s’implante durablement en Provence, en plus d’un bassin de production entre le Centre-Ouest et la région parisienne, et d’un siège social à Lyon. Outre son blé dur, la région offre un accès direct aux ports, aux zones de stockage de blé et aux réseaux ferroviaires. Panzani optimise ainsi sa logistique tout en renforçant le lien entre production agricole et transformation industrielle.

Créé il y a plus de cinquante ans, le Centre de recherche sur les céréales et les pâtes alimentaires¹,implanté à Marseille, est voué par Panzani au blé dur, du champ à ses applications : semoule, couscous, pâtes alimentaires. Son équipe participe à de des programmes régionaux et nationaux, souvent en appui scientifique, pour le compte d’institutions publiques ou d’organismes agricoles. « Il constitue la mémoire technique du blé dur en France », résume Sandrine Regaldo, responsable filière chez Panzani : « Étudiant les variétés de blé dur, la qualité des semoules ou les innovations dans les procédés de transformation, nous travaillons main dans la main avec les producteurs de la région. »

Le blé dur est l’unique matière première que Panzani utilise pour fabriquer ses pâtes et ses couscous. L’entreprise revendique un approvisionnement entièrement français. Chaque année, elle achète 90 % du blé dur produit en région Sud, ce qui en fait l’un des principaux débouchés agricoles du territoire.

Ce blé, cultivé sur le plateau de Valensole, en Camargue et dans les vallées du Rhône et de la Durance, est réputé pour sa qualité. Son approvisionnement local permet à Panzani de limiter son trafic routier. Le groupe a contribué à la remise en service d’une solution de transport ferroviaire : la moitié du blé destiné à ses moulins marseillais y sont acheminés par train. Ce projet, mené avec la Région Occitanie, a permis la réouverture d’une ancienne voie ferrée reliant directement les silos de stockage aux semouleries du groupe : décarbonation, désengorgement urbain et soutien à l’économie locale.

La Provence est l’un des bassins les plus exposés aux effets du changement climatique. Les agriculteurs y observent une baisse des rendements et une variabilité des qualités liées au stress hydrique, aux fortes chaleurs et à la salinité croissante des sols, notamment en Camargue. Un enjeu vital pour Panzani. C’est pourquoi l’entreprise participe à « Résil’dur », un programme porté par l’institut du végétal Arvalis, avec les coopératives agricoles, le CEA, les chambres d’agriculture, le Conseil régional... Ce projet s’inscrit dans la continuité du « Plan de résilience des grandes cultures » lancé par la Région. « Les équipes, explique Sandrine Regaldo, travaillent sur plusieurs axes : identification de variétés plus tolérantes à la sécheresse et à la salinité, adaptation du calendrier de semis, optimisation de la fertilisation pour limiter les émissions de carbone, et préservation de la qualité technologique des blés. En tant qu’industriel, nous analysons les effets de ces pratiques sur la transformation du blé et la qualité finale des pâtes. »

Au-delà de la recherche, Panzani revendique un rôle d’acteur social local. « Nos usines, implantées à proximité des zones urbaines de Marseille et de Vitrolles, dialoguent régulièrement avec les collectivités sur les questions de circulation, d’énergie et de modernisation industrielle », indique Audrey Luc, directrice communication et affaires publiques de Panzani. Qui souligne « le caractère relativement moins polluant de (cette) activité par rapport à d’autres secteurs industriels » mais convient des « défis liés à la logistique et au foncier industriel dans un environnement urbain dense ».

Sur le plan social, l’entreprise a distribué au Secours populaire français, aux Restos du cœur et à de nombreuses associations 428 tonnes de produits en 2024, soit 4,3 millions de portions. « On constate une augmentation du nombre de bénéficiaires, notamment parmi les jeunes », observe Audrey Luc. Les jeunes, alors que l’industrie alimentaire peine à recruter. « La semoulerie et la fabrication de pâtes constituent des métiers de niche en France. Il n’existe aucune école spécialisée pour ces formations : la plupart des jeunes techniciens sont formés directement au sein de nos usines », explique Audrey Luc. C’est pourquoi Panzani a mis en place un programme interne de formation et de transmission des compétences. Les plus anciens ouvriers accompagnent les nouvelles recrues, souvent en alternance. En quelques années le nombre d’alternants a doublé.

Pour ces initiatives, le groupe travaille avec la Région Sud, la métropole Aix-Marseille-Provence, les coopératives agricoles et les instituts techniques, qu’il s’agisse de recherche agronomique, de transition énergétique ou de coordination autour de l’emploi et de la formation : « Chaque projet industriel, indique Audrey Luc, extension, modernisation, innovation logistique, fait l’objet d’un dialogue avec les collectivités, afin d’en mesurer les retombées sur l’environnement et le voisinage. »

1. Cf. https://www.ilec.asso.fr/saga/21429.

Benoît Jullien (Icaal)

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