Vie des marques

Des marques inspiratrices de société

17/03/2022

La prise en compte du bien commun dans les stratégies d’entreprise semble incontournable. Elle répond aux attentes des consommateurs, et au-delà. Et d’abord à ce que les marques se doivent. Entretien avec Hervé Navellou, directeur général, L’Oréal France.

Entrons-nous dans une ère de « sociétalisation » de l’entreprise, et d’extension indéfinie de ses externalités sociales et environnementales ?

Hervé Navellou : Ce n’est pas nouveau de faire société en entreprise. Par définition, l’entreprise est un corps social, avec ses consommateurs, ses fournisseurs, et bien sûr ses salariés, au premier rang. Un exemple qui a trait à la vie dans l’entreprise : dès 1960, l’un de nos illustres dirigeants avait instauré le mois supplémentaire de congé maternité offert à toutes les mères, bien avant que la loi ne l’impose. Et avec l’évolution de la société nous faisons chaque fois évoluer ce cadre de vie, pour aller encore plus loin, comme la mise en place d’un congé paternité, de six semaines en 2019, et prolongé de deux semaines depuis mars 2022.

Par essence, les entreprises de grande consommation ont toujours été au cœur de la vie de la société, et totalement à son écoute. Les consommateurs veulent mieux consommer, et l’engagement de l’entreprise fait évidemment partie de ses critères de choix. Je ne dirais donc pas que nous entrons dans une nouvelle ère, mais que nous communiquons davantage sur ce sujet : faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait.

C’est aussi ce que nous avons voulu faire en clarifiant notre raison d’être : « Créer la beauté qui fait avancer le monde » est à la fois une inspiration, une invitation, un encouragement, un soutien et un engagement pour chacun d’entre nous chez L’Oréal et pour nos partenaires.

Un consortium sur l’affichage environnemental et sociétal,

Être le premier groupe mondial de cosmétique crée-t-il pour L’Oréal des responsabilités particulières ?

H. N. : Bien sûr, en tant que leader nous avons un devoir d’exemplarité, notamment environnementale, sociétale et éthique. Et j’ajouterai, un devoir de partage avec l’ensemble de nos parties prenantes, dans une logique de cercle vertueux. Chaque fois que cela est possible, nous proposons de partager avec l’ensemble de l’industrie cosmétique les avancées que nous réalisons pour transformer notre entreprise sur un modèle durable. C’est ce que nous avons fait en mai 2018 lorsque nous avons cofondé avec Quantis, l’un des principaux cabinets de conseil en durabilité environnementale, le système “Sustainable Packaging Initiative for Cosmetics” (SPICE), pour façonner l’avenir des emballages durables et réduire leur empreinte environnementale.

Nous avons également la volonté de développer et soutenir les initiatives communes d’affichage environnemental et sociétal, comme l’“EcoBeautyScore”. Ce consortium est désormais en ligne avec trente-six acteurs de l’industrie, une initiative ambitieuse pour permettre des choix de consommation plus durables. Ce n’est pas rien. La force du collectif est essentielle pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous espérons être un catalyseur du changement dans le secteur de la beauté et même et au-delà. Nous souhaitons inspirer nos consommateurs, et plus largement inviter chacun à agir avec nous.

L’Oréal Paris est connue pour son engagement envers les femmes ; les marques ont-elles ou doivent-elles avoir un rôle avant-gardiste dans l’évolution des mœurs et des normes sociales ?

H. N. : Une marque, c’est beaucoup plus qu’une collection de produits ou de services. C’est un savoir-faire, une force d’innovation, des équipes qui croient à l’utilité de leur métier. C’est aussi une histoire, des valeurs et des engagements nourris par une certaine vision du monde. Bref : une raison d’être. Les marques peuvent faire passer des messages forts pour changer des pratiques, des stéréotypes, et mettre à disposition de causes utiles et d’intérêt général leur puissance de communication.

Le plus important lorsqu’une marque s’engage est de s’assurer de la cohérence entre la cause et les consommateurs. Le slogan de L’Oréal Paris « Parce que je le vaux bien » dit depuis sa création, en 1970, la volonté d’œuvrer  pour « l’empowerment des femmes ». Alors quand la marque s’engage avec une cause telle que “Stand Up” et la Fondation des femmes contre le harcèlement de rue, cela sonne juste mais surtout c’est utile. 

Je citerai aussi, plus récemment, la marque Maybelline, qui avec la cause “Brave Together” et l’association Unfam s’engage pour lutter contre les troubles de l’anxiété auprès de la jeunesse. C’est particulièrement pertinent, car cette marque est très prisée des adolescents et jeunes adultes. Un dernier exemple parmi d’autres : la marque La Roche Posay, dont la mission depuis toujours est de changer la vie des peaux sensibles, qui accompagne les femmes atteintes du cancer.

Engager clients, fournisseurs et consommateurs dans le processus de transformation

Quelle est la capacité d’un groupe comme L’Oréal à tirer le marché vers des pratiques socialement souhaitables, d’abord dans son écosystème économique – filières, fournisseurs, sous-traitants, clients et auprès du grand public via la publicité ?

H. N. : D’une manière générale, nous avions dans notre premier programme d’engagement durable, en 2013, engagé une transformation profonde du cycle de vie de nos produits dans l’ensemble de la chaîne de valeur. Il fallait commencer par cela, nous-même, notre propre transformation.

Avec le programme « L’Oréal pour le Futur », lancé en 2020, nous avons passé un nouveau cap, afin d’associer notre écosystème à notre transformation, et lui donner les moyens d’adopter un modèle plus durable. C’est l’un des trois piliers de notre programme de transformation. Il est de notre responsabilité d’inclure nos clients, fournisseurs et consommateurs dans notre processus de transformation. Je le disais, les enjeux auxquels nous sommes confrontés ne pourront être résolus que collectivement. Ainsi, nous prenons de nouveaux engagements pour nous assurer que les politiques de développement durable de nos fournisseurs sont aussi exigeantes que les nôtres, pour les accompagner quand cela est nécessaire dans ce processus, et pour pousser toujours plus loin le développement social et économique des communautés avec lesquelles nous interagissons.

À propos de la publicité, il est vrai qu’à travers elle nos marques disposent d’une aura importante, elles s’adressent à la société civile et elles touchent la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est pourquoi les marques se doivent d’être exemplaires, engagées, et de montrer le chemin sur les sujets sociétaux et environnementaux, en restant honnêtes et sincères, avec leur histoire et les valeurs quelles portent.

Innovation écologique de rupture

Quelle est la capacité d’entraînement des innovations créées par L’Oréal, par exemple dans la biodégradation et le biorecyclage des matières plastiques (avec la création et le financement de Carbios pour les emballages) ?

H. N. : Il y a un principe fondateur : nous sommes en veille permanente sur les technologies émergentes. L’Oréal est une entreprise qui n’a jamais cessé d’innover, nous avons toujours su « saisir ce qui commence », un adage chez nous. En matière d’écoconception, sujet clé dans la transformation des entreprises de grande consommation et donc dans la capacité d’entraînement des nouveaux modes de production et de consommation, c’est bien entendu le cas également.

Comme vous le mentionnez, effectivement en 2021 L’Oréal a annoncé la conception du premier flacon cosmétique en plastique entièrement recyclé grâce à la technologie enzymatique de Carbios. Notre ambition est la mise en production courant 2025 des flacons issus de cette innovation de rupture. Autre exemple : le tube Lipikar Baume AP+ de La Roche Posay, dont nous avons rendu l’emballage plus léger sans rien enlever à ses effets. En supprimant la nécessité d’une tête de tube nous réduisons son poids de 24 à 15,6 grammes, une économie de plastique de 31 tonnes chaque année. Nous innovons et progressons chaque jour dans l’écoconception et je suis convaincu que cela profitera à l’ensemble de nos marques et au secteur tout entier.

Pour les consommateurs : quel est le pouvoir d’entraînement de vos marques, et le mesurez-vous ? Les fondements traditionnels de la confiance en une marque (sécurité, qualité traçabilité, innovation…) sont-ils des amplificateurs efficaces à un discours de marque tourné vers des changements de pratiques en bout de chaîne (consommateurs) ?

H. N. : Nous sommes par essence concentrés sur l’écoute, les besoins et les attentes des consommateurs. Nous avons l’ambition de répondre à leurs envies de beauté tout en leur apportant une information claire et scientifiquement robuste, nécessaire pour leur permettre de faire des choix éclairés. Parce que c’est légitime, et parce que c’est ce qu’ils attendent de nous.

Ce que le consommateur nous dit aujourd’hui, c’est qu’il a besoin de plus de pédagogie, de transparence et de preuves concrètes. Nous avons mené ces dernières années beaucoup d’actions pour donner à nos consommateurs une information large et complète sur les ingrédients que nous utilisons, les mesures que nous prenons pour garantir la parfaite innocuité de nos formules, avec par exemple le site « Au cœur de nos produits » et avec des marques pionnières sur le sujet comme Garnier, Biotherm etc. Nous souhaitons aller encore plus loin, comme je le disais, avec un système d’affichage environnemental partagé par l’ensemble du secteur.

Engagements de l’international au local

Chaque marque de l’Oréal est-elle porteuse des objectifs sociétaux du groupe d’une manière singulière ?

H. N. : Chaque fois que cela semble logique, pertinent, utile et cohérent avec leur positionnement, nos marques s’engagent. Ce n’est pas systématique, car nous ne voulons pas prendre des engagements pour le simple plaisir d’en prendre. Il y a des marques qui s’engagent au niveau international ou national, avec de grandes causes et des associations connues de tous. Il y a des marques qui s’engagent localement, je pense à La Provençale, qui s’est associée à MiiMOSA pour soutenir l’agriculture biologique en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, où elle source ses produits ; les lauréats de ce programme bénéficient d’un abondement allant jusqu’à 5 000 euros pour financer leurs projets sur MiiMOSA. Je pourrais aussi citer Sanoflore, qui dans le Vercors et la Drôme a lancé un programme de plantation de haies, composées d’essences locales : tilleul, érable champêtre, aubépine, car elles sont une source de biodiversité à protéger.

Dans quels domaines vos marques s’avèrent-elles les plus influentes en tant que porteuses de messages sociétaux ou environnementaux, et auprès de quels publics ?

H. N. : Nos consommateurs n’ont pas un profil unique. Ils sont attentifs aux engagements qui leur tiennent à cœur. Pour certains, ce sera auprès des femmes, pour d’autres le bien-être animal ou la préservation des fonds marins. C’est la force de notre modèle d’être capables, avec plus de cinquante marques, de proposer des produits et des engagements en adéquation avec des attentes et des choix personnels de consommation.

Un site modèle et un objectif 100 % ENR

À quoi s’engage L’Oréal pour la décarbonation de ses sites de production et de sa logistique ?

H. N. : D’ici à 2025, l’ensemble de nos sites seront neutres en carbone, par l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’utilisation de 100 % d’énergies renouvelables. En France, six de nos usines sont déjà neutres en carbone, et nous allons bien sûr continuer.

Pour nos centrales, c’est la même logique. Courant 2022, nous allons inaugurer une toute nouvelle centrale qui accueillera nos équipes et activités de distribution France de L’Oréal Luxe et de produits de maquillage Grand Public. Elle sera une référence en développement durable. Sa conception permettra d’optimiser les consommations d’énergie par une isolation renforcée, un mix optimisé d’éclairage naturel et LED, et une climatisation passive avec un système de géothermie. Afin d’atteindre l’objectif de 100% d’énergies renouvelables, le site disposera d’une centrale photovoltaïque en toiture et de deux chaudières biomasse.

Avez-vous défini des politiques environnementales de filières pour tous les ingrédients de vos produits ?

H. N. : Aujourd’hui, 59 % de nos matières premières sont d’origine végétale, comme l’alcool ou la glycérine. Nous avons annoncé en 2021 un programme sur lequel nos équipes R&D travaillaient depuis longtemps, qui vient profondément modifier notre manière de concevoir nos formules : les “Green Sciences”. Elles sont une immense transformation portée par notre Recherche, qui vise à améliorer encore la qualité de nos formules tout en réduisant drastiquement leur impact environnemental. Nous agissons pour protéger la planète, contre le changement climatique, en respectant la nature et en préservant les ressources. Nous avons pris des engagements concrets : d’ici à 2030, 95 % de nos ingrédients seront biosourcés, c’est-à-dire issus de sources végétales renouvelables, de minéraux abondants ou de procédés circulaires.

L’entreprise, objet autant qu’acteur de l’innovation sociétale

En termes d’inclusion sociale, les pratiques des marques de L’Oréal ont-elles infusé dans leur écosystème ?

H. N. : Oui. Je parlais de cohérence, il serait étrange que nos marques prennent des engagements qui ne soient pas mis en place en premier lieu dans l’entreprise. Les salariés sont le premier maillon de toutes nos démarches. Rien ne se fait sans leur assentiment, leur enthousiasme et leur énergie. Ils sont moteurs, voire accélérateurs dans nos changements de pratiques. Par définition, ils sont les acteurs de cette inclusion, puisque derrière nos marques, avant tout il y a des femmes et des hommes. C’est avec eux et pour eux que nous voulons créer un lieu de travail divers où chacun puisse se sentir libre d’être qui il est.

La raison d’être de L’Oréal, « Créer la beauté qui fait avancer le monde », s’applique en premier lieu à l’interne, avant d’être déclinée en externe. Chez L’Oréal, nous croyons que la beauté est une force puissante, qui nous donne confiance, en nous et en qui nous voulons être. Nos salariés sont à l’image de cette beauté diverse et infinie. C’est leur pluralité qui crée notre richesse.

Un groupe comme L’Oréal a-t-il un rôle pionnier ou multiplicateur dans l’émergence de nouveaux métiers répondant aux défis de la digitalisation industrielle et des enjeux environnementaux ?

H. N. : On dit souvent que L’Oréal est une école de l’excellence, un lieu d’apprentissage continu. Après plus de trente ans dans ce groupe, je peux dire que cela ne s’est jamais démenti. L’époque que nous vivons est pleine de défis et passionnante. J’ai la conviction que la « tech » va amplifier et accélérer l’innovation, au service notamment du développement durable. C’est pour cela que nous avons pour chaque métier des équipes de formation, avec des programmes sur mesure, pour développer les compétences dans les savoir-faire aussi bien que dans les savoir-être. En particulier les compétences liées à l’environnement et au digital. Notre vision, notre ambition, c’est de construire la “beauty tech” de demain, à la fois plus performante et plus responsable.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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