Vie des marques

LDC, plan de décarbonation pérenne

12/02/2024

Acteur de poids de l’agroalimentaire français, le groupe volailler complète sa feuille de route pour tenir l’objectif des Accords de Paris. Entretien avec Dylan Chevalier, directeur RSE, groupe LDC*.

Quels sont les enjeux particuliers de la décarbonation pour un groupe comme LDC ?

Dylan Chevalier : Pour nous, l’important est de proposer une alimentation à bas carbone suivant les deux volets de la sobriété et de la séquestration. Comme souvent dans l’agroalimentaire, nous avons un scope 3 très large : c’est en amont que la majeure partie des émissions de notre chaîne de valeur se situe. Avec 85 % de notre activité dans la volaille et 15 % dans le traiteur, la production agricole et particulièrement l’alimentation des animaux sont l’enjeu majeur. Il nous faut donc, pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre, fédérer l’ensemble de nos chaînes de valeur, non seulement nos éleveurs partenaires mais aussi nos fournisseurs de matière première à l’origine de l’alimentation des animaux. Il y a aussi l’enjeu des énergies consommées dans nos usines, nos transports et la logistique ou encore chez nos fournisseurs. Nous n’avons pas attendu pour travailler la maîtrise de l’énergie sur nos sites et avec nos éleveurs, mais les objectifs d’une trajectoire de décarbonation sur les trois scopes nécessitent une amplification des investissements en ce sens.

De quelle manière ?

D. C. : Pour la décarbonation, notre travail consiste en l’élaboration d’une stratégie d’atténuation – réduire notre impact - mais aussi d’adaptation : le réchauffement climatique a par exemple des conséquences sur la ressource en eau. Quelles actions devons-nous initier immédiatement pour garantir la résilience de l’entreprise dans les années qui viennent ? Une réflexion globale est nécessaire : l’eau ou la biodiversité, même si elles ne sont pas directement concernées par la réduction des GES, ont des liens étroits avec les émissions et leurs impacts et vont dans le même sens que la décarbonation.

Où en êtes-vous en termes de trajectoire ?

D. C. : Nous sommes dans une phase de travail pour publier notre stratégie d’ici à la fin de l’année. Je ne peux pas encore communiquer une définition chiffrée de notre trajectoire, mais elle sera dans une direction de type 1,5 degré des Accords de Paris alignée SBTi. Nous sommes en train de mesurer le bilan carbone des trois scopes à l’échelle du groupe selon la méthode du GHG Protocol (Greenhouse GasProtocol). Deux cabinets nous accompagnent, Carbone 4 pour le volet décarbonation et Axa Climate pour le volet adaptation et biodiversité, afin d’analyser toutes les données d’évaluation à partir de l’année de référence 2022, et publier un premier bilan au mois de juin prochain.

Notre bilan carbone est quasiment finalisé, il ne nous reste plus qu’à vérifier certaines hypothèses. Reste aussi à achever notre travail sur le climat et la biodiversité pour définir le plan d’atténuation et d’adaptation que j’évoquais. Enfin, nous venons de lancer l’évaluation des plans d’action sur les métriques d’émissions de carbone et de biodiversité, avec pour celle-ci la difficulté qu’il n’existe pas encore de critères consensuels pour évaluer les effets de telle ou telle action. La somme de tout cela doit nous permettre de valider notre capacité à suivre une trajectoire ambitieuse alignée avec le 1,5 degré Paris.

Votre trajectoire intègrera-t-elle un objectif zéro carbone ?

D. C. : Notre objectif est bien de viser la neutralité : la question est de définir à partir de quand. L’approche SBTi engage à privilégier la sobriété. Mais, pour un groupe agroalimentaire, le scope 3 Flag (Forest, land and agriculture), les émissions liées aux activités agricoles, présente chaque année des objectifs différents des autres : scope 3 hors Flag (émissions non agricoles), 1 ou 2. Les trajectoires de ces quatre périmètres peuvent varier, même si on peut viser un objectif moyen annuel d’environ  4 % d’émissions de carbone en moins pour être aligné.

Émission et captation

Et qu’en est-il de la séquestration ?

D. C. : Nous ne l’avons pas encore évaluée, car elle n’est pas prioritaire par rapport à l’engagement de réduction. Dans l’agriculture, l’approche SBT a bien intégré, de manière scientifique, que l’agriculture ne peut pas être à zéro émission puisqu’elle est à la fois une cause d’émissions mais surtout la solution majeure de captation du carbone. C’est une vraie chance pour nous qui sommes connectés au monde agricole par des contrats de partenariat avec nos éleveurs, avec lesquels nous avons plus de cinquante ans d’histoire.

Les éleveurs portent déjà de nombreuses initiatives pour produire de l’énergie renouvelable à partir de biomasse agricole, de solaire, d’éolien… et ils pratiquent de plus en plus l’agroforesterie, que nous encourageons. C’est le bon sens paysan. Nous allons poursuivre dans cette voie à leurs côtés par des actions les plus collectives possible pour être efficaces : formation, accompagnement et valorisation. Nous n’avons pas toutes les réponses à ce stade mais ce sera un axe essentiel pour participer à l’effort de décarbonation.

Par rapport à d’autres groupes, n’êtes-vous pas trop prudents dans vos annonces ?

D. C. : L’agriculture et l’agroalimentaire sont dans le temps long et nécessitent de bien mener, et progressivement, des actions pérennes, quitte à mettre un peu plus de temps, plutôt que des actions de décarbonation à court terme qui, plus tard, ne permettraient peut-être pas de viser la neutralité ou qui iraient à l’encontre d’autres enjeux tels que ceux de la biodiversité.

Pourriez-vous détailler votre politique d’investissements en la matière et comment la décarbonation s’y intègre ?

D. C. : Le budget du groupe est d’environ 300 millions d’euros par an et la décarbonation y participe déjà. Près de 20 % de nos investissements sont directement orientés vers les enjeux sociétaux et environnementaux.

Outre les investissements, il y a des actions déjà engagées sur les trois scopes. Ainsi, au printemps 2023 nous avons réussi à réduire de 75 à 80 % la consommation de gaz de la salle des machines qui alimente l’ensemble des activités de notre site majeur de Sablé-sur-Sarthe. Ce n’est pas vraiment un investissement au plan financier, car nous avions déjà un outil équipé des dernières technologies (refroidissement à l’ammoniac, récupération d’énergie, capteurs de mesure de consommation). Mais il nous restait à en optimiser de manière très réactive la régulation. Nous avons multiplié les capteurs pour connaître les consommations en temps réel, avec des pas de temps très courts, pour optimiser les réglages de façon permanente. Cela alors que nous avions déjà une technologie très économe, installée en 2017, par rapport aux technologies précédentes qui nous avait déjà permis d’économiser des énergies fossiles.

Mais il nous restait du gaz pour chauffer l’eau de nos activités de transformation. Nous avons alors développé un partenariat avec l’entreprise irlandaise d’ ingénierie Coolplanet, et l’ensemble de nos équipes techniques se sont mobilisées pour optimiser le fonctionnement des équipements énergétiques. Grâce à des données finement mesurées, on parvient à régler le fonctionnement de manière très rapide, et le recours au gaz est réduit à son strict minimum. Dans ce cas, il n’a pas été nécessaire de mobiliser le Capex, mais cette optimisation de la régulation n’est pas forcément duplicable partout et nécessitera de nouveaux équipements sur d’autres sites. Elle réserve néanmoins des marges de décarbonation considérables.

Alternative au soja importé

D’autres exemples ?

D. C. : On peut citer dans l’alimentation des animaux le travail de nos équipes de l’amont et nos organisations de production partenaires qui suivent les éleveurs et sont fabricantes ou distributrices d’aliments des volailles. Elles mettent progressivement en place des recettes bas carbone qui utilisent des céréales locales dont les émissions sont plus faibles, limitant l’utilisation d’intrants, améliorant le travail du sol…

En outre, un autre partenaire, Metex (Metabolic Explorer) conçoit sur son site d’Amiens, Nøøvistago, des acides aminés issus de la fermentation de betteraves locales. Ces acides aminés participent de plus en plus aux recettes pour y réduire la quantité de protéines végétales et répondre aux besoins des animaux de façon précise. C’est à la fois un recours à une ressource locale et un outil de reconquête de notre souveraineté alimentaire, par rapport au soja importé. Cette action représente un coût important mais a un impact fort sur les émissions de carbone.

Enfin, j’ajouterai les travaux en cours pour développer les biocarburants dans notre flotte de camions. Nous lançons cette initiative et envisageons de la développer.

L’importante politique de croissance externe de LDC et les acquisitions¹ qui en résultent compliquent-t-elle l’élaboration de votre feuille de route ?

D. C. : En réalité, le groupe lorsqu’il se développe cherche à être plus fort sur tous les plans, financier et extra-financier. Or sur ce dernier point la dimension carbone est importante. Les croissances externes vont dans le sens de notre mission de souveraineté alimentaire, voie royale pour permettre à des consommateurs locaux de consommer une alimentation locale (ce qui est aussi vrai pour nos activités internationales, en Pologne notamment) : on ne peut pas faire plus vertueux en termes de parcours, d’un point de vue social, emploi, etc. Nos acquisitions sont réfléchies et nos équipes sont habituées à ce développement dont elles sont fières. L’entrée de nouveaux collègues dans notre périmètre est à la fois un défi et un plaisir, il nous apporte toujours des savoir-faire et des visions complémentaires qui contribuent à notre stratégie sociétale et environnementale.

La branche traiteur présente-t-elle une empreinte plus faible ?

D. C. : Légèrement, puisqu’elle représente 15 % de l’activité du groupe et de 10 à 15 % des émissions globales. Le scope 3 y est plus faible puisqu’il y a une multiplicité d’ingrédients ; l’essentiel va se situer sur les achats de denrées. En outre, notre pôle traiteur valorise également nos propres volailles pour certaines recettes, ce qui contribue à réduire son impact. Enfin, l’essentiel des leviers se situant sur les achats, le travail se concentre avec ses fournisseurs pour que leur propre trajectoire profite à nos marques. Ils y travaillent bien sûr ; reste à collecter la donnée fiable, qu’elle soit conforme aux méthodes de référence pour être valorisée dans nos produits finis. Notre pôle traiteur connaît aussi les enjeux énergie et autres que j’ai évoqués.

* LDC en bref : 5,9 Mds € de CA (+ 2,3 Mds en cinq ans), dont 22 % à l’export ou à l’international, 102 sites 23 400 salariés, 8 300 éleveurs partenaires. Marques : Le Gaulois, Maître Coq, Loué, Marie, Poule et Toque, Nature et Respect… https://www.ldc.fr.
1. Récemment : Routhiau (encore soumise à l’accord de l’Autorité de la concurrence lors de l’écriture de ces lignes), Les Délices de Saint-Léonard, ou en 2009 les acquisitions majeures d’Arrivé (Maître Coq), de Marie, ou, en 2015, de la branche volailles d’Avril, outre les développements en Pologne, en Belgique ou au Royaume-Uni.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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