Tribunes

Relations industrie-commerce

Le pari d’un assainissement des accords internationaux

04/01/2021

La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (« Asap ») du 7 décembre 2020 porte en son article 138 une disposition d’une grande importance : elle impose aux fournisseurs et aux distributeurs de mentionner, dans les contrats qui les lient (« conventions uniques » au sens du Code de commerce) les accords internationaux relatifs aux produits qui font l’objet de ces contrats français. Par Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec.

La mention des accords internationaux dans les conventions uniques françaises est une disposition que l’Ilec a soutenue pendant des années, reprise parmi les propositions du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les pratiques de la grande distribution, publié en septembre 2019. Cette disposition vise à mettre en lumière l’existence d’accords conclus par des industriels avec les centrales internationales de distributeurs (Coopernic, CWT, Agecore, Patinvest, etc.), qui ne sont souvent qu’un moyen d’opérer un transfert de valeur des uns vers les autres sans contrepartie véritable. Échelon supplémentaire de négociation pour leurs fournisseurs, les structures créées à l’international par les grandes enseignes proposent, voire imposent, des prestations de services du type merchandising, référencement, statistiques et données, coopération commerciale, rendez-vous « top to top ». Ces services sont censés promouvoir la revente des produits dans un espace transnational, généralement européen. Ils donnent lieu, lorsqu’ils ne sont pas simplement fictifs dans le pire des cas, à des rémunérations souvent disproportionnées, source de rentabilité pour les enseignes.

En 2001, l’Ilec avait conduit une étude juridique et fiscale sur un phénomène alors naissant. La conclusion de partenariats axés sur l’accompagnement du développement international de certaines enseignes (Carrefour et Casino notamment), avec en contrepartie un accroissement des ventes ou des parts de marché pour les industriels, relevait d’un mouvement vertueux. Mais la croissance exponentielle des sommes en jeu, transformant au fil du temps certains de ces partenariats en structures dont le seul objectif est d’opérer un transfert de valeur des fournisseurs vers les distributeurs, est devenue pour les premiers, et pour l’Ilec, un sujet de préoccupation majeur.

Travaux décisifs d’une commission d’enquête

L’Ilec s’est aussi attaché à appréhender le phénomène sous l’angle fiscal. Il a attiré en diverses occasions l’attention des pouvoirs publics sur les sommes en jeu. Une proposition d’amendement visant à réincorporer ces sommes dans le bénéfice fiscal des enseignes françaises a recueilli le soutien de certains députés, mais elle n’a jamais été accueillie favorablement par les services du ministère de l’Économie et des finances.

Le fait est que les centrales internationales et leur activité ont longtemps bénéficié, sinon d’opacité, d’une méconnaissance ou d’une connaissance trop parcellaire de la part des autorités. C’est pourquoi il faut saluer l’énorme travail réalisé par la commission d’enquête parlementaire de 2019, qui a mis en lumière les abus pratiqués en la matière par certaines centrales. Sous la conduite du président Thierry Benoit et du rapporteur Gregory Besson Moreau, elle a auditionné publiquement l’ensemble des représentants des centrales, à l’exception des dirigeants d’Agecore, l’entité internationale d’Intermarché, qui n’ont pas jugé utile de se déplacer, ce que la représentation nationale a peu apprécié.

Ces auditions ont montré que les accords internationaux se traduisent souvent par un rapport disproportionné entre les rémunérations exigées et les prestations proposées, quand celles-ci ne sont pas fictives – lors de son audition, l’Ilec a souligné que la généralisation n’est pas de mise, et que certaines enseignes proposent de véritables services qui présentent un réel intérêt pour les industriels.

Mais que ces services soient utiles ou non, il est ressorti des auditions un point capital, sur lequel les représentants des centrales, parfois poussés dans leurs retranchements, se sont exprimés clairement : de tels accords n’ont rien d’obligatoire, et les fournisseurs, sans crainte de représailles commerciales, peuvent refuser d’y souscrire. En pratique, ce n’est pas toujours vrai, il arrive que la signature de ces accords soit considérée par l’enseigne française membre de la centrale internationale comme une condition à la négociation nationale et à sa conclusion.

Centralité de la notion de loi de police

L’administration a eu longtemps des difficultés à appréhender ces accords. Ce sont des décisions de la Cour de cassation, dans des affaires Apple (6 juillet 2016) et Expédia (8 juillet 2020), qui ont éclairé et débloqué le sujet : elles ont en effet réaffirmé le caractère de lois de police des dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce, qui traitent des relations industrie-commerce, confirmant ainsi l’applicabilité du droit français aux accords produisant des effets sur le territoire français.

Au vu de ces décisions, l’Ilec a émis l’idée, il y a quatre ans, de mentionner à titre informatif l’existence et le contenu de des contrats internationaux dans les conventions uniques conclues avec les enseignes françaises et visées par l’article L. 441-3 du Code de commerce), de façon à donner traçabilité et visibilité à ces accords.

Les méandres des travaux parlementaires ont permis de faire figurer cette mesure dans la loi, en l’occurrence la loi Asap du 7 décembre 2020. Adopté en première lecture par le sénat au printemps dernier, ce texte prévoyait la prolongation des mesures expérimentales de majoration du seuil de revente à perte et d’encadrement promotionnel. Puis ces mesures ont été visées par une disposition de la loi du 17 juin sur la crise sanitaire, prévoyant de les traiter par ordonnance. Les députés en ont à juste titre exigé le retour dans la loi Asap, débattue en urgence à l’automne. Ce retour leur a donné l’opportunité de débattre de plusieurs amendements intéressant les relations industrie-commerce, dont deux ont été adoptés avec avis favorable du gouvernement, qui ont répondu aux attentes des industriels et de l’Ilec : l’un relatif aux pénalités logistiques (obligation de leur caractère proportionné et réintroduction de l’interdiction de la déduction d’office, supprimée en 2019) ; le second instaurant l’obligation de mentionner dans les conventions uniques les accords internationaux par lesquels les signataires de ces conventions sont directement ou indirectement liés.

Le temps de la mise en œuvre, à l’avantage de tous

L’Ilec vient de publier à l’attention de ses adhérents un guide autour de la disposition, en vue de sa mise en œuvre dans les accords annuels conclu à l’échelon national. L’objectif est double.

Dans un premier temps, il s’agit de faire la chasse aux accords disproportionnés, entre des rémunérations excessives (parfois très excessives) et des prestations surpayées, voire fictives. En obligeant les parties à mentionner l’existence de ces accords et à en révéler le contenu, la disposition donne à la DGCCRF l’ensemble des informations dont elle a besoin pour, le cas échéant, réaliser des contrôles et envisager de sanctionner les parties défaillantes dans la production de l’information, sous l’angle du non-respect du formalisme, ainsi que la centrale internationale, sous l’angle du déséquilibre significatif ou de l’avantage sans contrepartie ou disproportionné, même si l’accord est soumis à un droit étranger et relève, en cas de litige, d’une compétence juridictionnelle d’un autre pays que la France. C’est en ce sens que l’administration a assigné Eurelec, puis lui a infligé des sanctions administratives pour non-respect du formalisme de la négociation (en l’occurrence, le non-respect de la date du 1er mars pour conclure les accords annuels).

Mais à terme, l’objectif est surtout d’assainir les pratiques et les relations entre fournisseurs et distributeurs. L’Ilec, observateur privilégié, a pu constater une forte dégradation du contenu de ces accords, qui s’est accentuée au cours des dernières années. Il est urgent de remettre du sens dans ces accords et dans ces relations contractuelles. Il ne s’agit pas de faire disparaître les accords internationaux, ce serait contraire au principe de liberté d’entreprendre et du commerce, il s’agit au contraire de les promouvoir pour autant qu’ils portent sur des éléments qui apportent une valeur ajoutée proportionnée aux deux parties.

L’administration a tous les moyens pour appréhender les accords internationaux, nul doute qu’elle accomplira sa tâche. Le pouvoir politique, de son côté, doit cependant manifester sa volonté de contribuer à cet assainissement et de voir sanctionnées les centrales qui proposent voire imposent des prestations aux rémunérations démesurées, ou vides de contenu. La lutte contre les pratiques illicites, les « pratiques restrictives de concurrence », qui nuisent à la qualité des relations entre industriels et distributeurs, et par ricochet à toute la chaîne d’approvisionnement et aux consommateurs, doit être pour lui un objectif constant. Même si cela ne peut constituer une fin en soi ; l’Ilec en est le premier conscient, et ne cessera d’œuvrer à des relations contractuelles équilibrées et pleinement collaboratives où chaque partie trouve son intérêt, qui peut d’ailleurs être commun. C’est le sens de la disposition qui vient d’être adoptée.

 

Daniel Diot

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