Bulletins de l'Ilec

Éditorial

Dépenses malignes - Numéro 439

01/11/2013

Le gaspillage alimentaire serait-il un démenti à la vision irénique d’un consommateur « expert » porté à des achats « malins » ? Si prévalait cette heureuse malignité, il finirait les pots, ne rangerait pas la salade sous plastique, ni le poisson dans le bac à légumes, ni ne croirait s’empoisonner avec la DLUO d’un yaourt dépassée d’une semaine. Près de cent quarante kilos d’aliments gaspillés chaque année en France par habitant, dont cent chez l’habitant, et quatre cents euros grevant le budget non contraint des ménages, il y a quelque chose de malin, mais au vrai sens du terme.

Car ce gaspillage ne répond à nulle « obligation de paraître » comme chez le noble du XIIIe siècle cher à Georges Duby, il n’est pas fonction du revenu, la consommation alimentaire à domicile pèse moins de dix pour cent dans la plupart des budgets, et l’actuelle déflation parachève absolument son recul relatif : 400 euros remplissent peut-être trois chariots, mais sur un an… Jeter un aliment oublié et périmé, ou cru tel, est un ratage qui coûte peu. Or le voilà de plus en plus réprouvé. La mauvaise conscience a fait son œuvre : 2014 sera « année européenne contre le gaspillage alimentaire ».

Pour quel effet ? Les prochaines vagues d’études permettront peut-être une vue longitudinale sur l’influence des facteurs pertinents, entre campagnes de sensibilisation, prix, structures commerciales ou évolutions sociodémographiques. En attendant, ces cent euros et ces quatre cents kilos ne sont que de plates moyennes, et de l’aveu de la Commission européenne1, les données ne seraient fiables qu’au Royaume-Uni, en Suède et en Belgique. Telle étude sur la « composition des ordures ménagères » souligne l’homogénéité des comportements d’une région française à l’autre, telle autre fait état d’une pratique d’« aliments jetés » variant presque du simple au double…

Reste que s’agissant de la répartition du gaspillage le long de la chaîne, les écarts paraissent considérables entre pays. Si approximatives qu’elles soient, les études situent la France parmi les pays les plus vertueux d’Europe au vu du gaspillage global, mais les Français parmi les plus négligents. C’est dire que la France peut se prévaloir d’une chaîne d’approvisionnement exemplaire, en particulier à l’anneau de son industrie agroalimentaire2.

Pour autant, on le verra dans ce Bulletin et le suivant, les opérateurs de la chaîne d’approvisionnement ne se reposent pas sur leurs acquis. Eux aussi répondent de l’usage final qui est fait des produits. Et ils savent bien que si, en bout de chaîne, la « gestion du frigo », selon la délicieuse expression qui ramène le management dans le giron du ménager, reste si perfectible, il ne suffit pas de s’en remettre à l’« éducation du consommateur » – maligne ou non.

1. Enquête UE 2010 citée par le ministère de l’Ecologie, in « Rapport intermédiaire relative au gaspillage alimentaire », www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/Rapport%20intermédiaire_VF-1.pdf.
2. Ibidem.

François Ehrard

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