Bulletins de l'Ilec

Éditorial

Diversité - Numéro 405

01/11/2009

En la déjà lointaine année 2003, le député Luc Chatel remettait un rapport sur « l’information, la représentation et la protection du consommateur », pour partie consacré à l’« éparpillement institutionnel » du paysage consumériste français. Côté institutions, il prônait le regroupement, dans un « Office national de protection des consommateurs », de l’INC, de la Commission de sécurité des consommateurs et de celle des clauses abusives. Côté associatif, il estimait que « la question [n’était] pas celle du nombre d’associations » mais le « saupoudrage financier » qui en résultait, inconvénient qu’il se proposait de contourner par l’abandon du système de subvention et la substitution d’une « logique de résultats à une logique de moyens ». Et il recommandait un « recours collectif » avec des « règles propres à empêcher les abus », ainsi que « l’institution d’un médiateur national ».

Entré au gouvernement, l’auteur du rapport allait associer son nom à deux textes empreints des préoccupations qui l’avaient inspiré (lois de janvier 2005 sur l’encadrement du crédit et de la résiliation des contrats, et de janvier 2008, relative entre autres à la refonte du Code de la consommation), même si rien encore ne contribuait à recomposer le paysage éparpillé du consumérisme. Rien, sinon une lettre de mission : datée du 10 février 2009 et adressée à la conseillère d’État Dominique Laurent. Elle revenait sur le « saupoudrage des financements », les problèmes de représentation dus à une « grande dispersion », et appelait à des propositions nouvelles. D’Office national, il n’était toutefois pas question, pas plus que d’action de groupe.

Les conclusions furent rendues au printemps suivant. Au successeur de Luc Chatel à la Consommation, Hervé Novelli, revint le soin de passer à l’action, et d’apaiser les passions suscitées par le rapport entre deux camps également hostiles : les tenants d’un consumérisme sans mélange et ceux d’un consumérisme socialement ancré. Ou de façon moins amène : les « associations isolées qui n’ont qu’un faible rayonnement social », selon la formule de Conso France visant l’UFC-Que choisir et la CLCV, et les « associations qui ne traitent que marginalement de consommation », selon le mot dont Alain Bazot (UFC) gratifie les membres de Conso France ou de la Coordination. De l’été à l’automne, par voie de communiqués et au cours de réunions à huis clos sous l’égide du ministre, enfla la querelle des critères d’agrément (et de représentation au Centre national de la consommation), à propos desquels le rapport Laurent avait formulé des mesures qui fâchent. Au terme d’une consultation qui aboutit, le 26 octobre, aux Assises de la consommation, ces mesures furent pour l’essentiel remisées. Et le recours collectif, objet d’une proposition de loi de Luc Chatel mais seulement mentionné à la marge par la conseillère d’Etat, revint au centre des débats.

Les Assises ne pouvaient consacrer la confusion des uns et le triomphe des autres. « Le renforcement du mouvement consommateur, souligne Hervé Novelli, doit se faire par le haut. » Les critères d’agrément demeurent, les modalités de subvention persévèrent dans l’être, et le paysage associatif semble attaché à sa dispersion, en dépit d’un « super-agrément » promis aux candidats à la consolidation. « La Coordination n’a plus vocation à être un groupement organisé comme peut l’être Conso France », assure Henri Joyeux, président de Familles de France, tandis que du côté de Conso France, le surcroît d’organisation n’a pas plus d’effet centripète : « L’heure ne nous semble pas à des regroupements structurels », nous confient tout groupés les président et vice-présidents de cette confédération, Daniel Foundoulis, Valérie Gervais et Patrice Bouillon. L’« Office » resté sans suite il y a six ans est de retour, sous la forme d’un INC « renforcé » par l’absorption des entités circonvoisines (CSC, CCA). Peut-être l’idée contribuera-t-elle à forger l’impossible unité du mouvement consumériste, puisqu’elle suscite l’unanimité contre elle : elle « inquiète fortement » Conso France, elle semble d’une faisabilité « peu probable » à Henri Joyeux, et Alain Bazot, qui reproche déjà à l’INC de « sortir parfois de son rôle », y voit un facteur de « brouille ». De l’action de groupe, la promesse est réitérée mais l’avènement reporté. En attendant, la procédure de médiation est présentée par les pouvoirs publics comme une sorte de morale provisoire, avec l’approbation mesurée des uns et sous le sarcasme à peine voilé des autres.

Ce relatif statu quo laisse les acteurs à leurs critiques. Les critères d’agrément ? « Ils ne tiennent pas compte de la désinstitutionalisation en cours », déplore Jean-Marie Bonnemayre (président du Cnafal, Conso France). Façon de dire que toute œuvre visant à réinstitutionnaliser le social a son mot à dire sur la consommation. Jamais de la vie, répond en substance Alain Bazot, dénonçant par avance « l’agrément de nouvelles associations sectorielles dont on ne connaît pas le degré d’indépendance ». L’action de groupe ? « Pourquoi pas, concède Jean-Marie Bonnemayre, mais [elle] ne doit pas être un levier de la société du spectaculaire-marchand. » Autrement dit ne pas consacrer la suprématie des associations les plus portées à en faire usage, comme l’UFC, dont le président condamne le report aux « calendes grecques » d’un « instrument indispensable ».

Chacun fourbit ses armes pour les manches suivantes. Après les Assises, les lutteurs sont debout. Mais si la France est d’une grande diversité de paysage, elle jouit d’un climat tempéré. Le consumérisme intégral serait-il l’ombre portée de l’hyperconsommation, et le consumérisme social celle de la consommation responsable, ils s’adressent pourtant l’un et l’autre aux mêmes consommateurs que tour à tour affectent les mêmes inclinations. Dans la comparaison des mérites des uns et des autres, Hervé Novelli, tout en observant que certaines associations sont « plus actives ou plus représentatives », et certaines moins enclines à la « dénonciation stérile », a soin de ne pas se commettre. Sans doute le ministre ne voudrait-il pas, devant la jalousie du paon pour la voix du rossignol, être porté à dire comme la Junon de la fable : « Tout animal n’a pas toutes propriétés. / Nous vous avons donné diverses qualités : / Les uns ont la grandeur et la force en partage ; / Le faucon est léger, l’aigle plein de courage ; / Le corbeau sert pour le présage ; / La corneille avertit des malheurs à venir; / Tous sont contents de leur ramage. / Cesse donc de te plaindre ; ou bien, pour te punir, / Je t’ôterai ton plumage. »

François Ehrard

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