Bulletins de l'Ilec

Demain la mutualisation - Numéro 460

28/10/2016

Base de données ouvertes sur les produits, communauté de clients, assistant personnel… Dans les produits de grande consommation à dominante alimentaires comme ailleurs, le digital impose ou appelle le collaboratif. Entretien avec Henri Isaac, maître de conférences, université Paris Dauphine

Pour qui l’ère digitale bouleverse-t-elle le plus le commerce: les consommateurs ou les opérateurs? Pour qui l’adaptation est-elle la plus difficile?

Henri Isaac: Les opérateurs sont les plus perturbés par la transformation numérique, qui confère aux consommateurs un plus grand pouvoir d’information et un choix quasi infini. Ils le sont car le digital oblige à agir non plus uniquement en termes de produits et d’offres, mais en termes de relation avec les clients. Ceux-ci peuvent également désormais communiquer entre eux (communautés en ligne), donner leur avis, s’organiser pour mener diverses actions, notamment sur la traçabilité des produits, comme l’initiative Open Food Facts1, «l’information alimentaire ouverte» : un projet à but non lucratif créé par des milliers de volontaires à travers le monde, consistant en une base de données sur les produits alimentaires renseignée par tout le monde pour tout le monde,.

Dans quels domaines de l’organisation commerciale l’impact du numérique a-t-il été et est-il encore le plus révolutionnaire: relations amont, organisation logistique, flux financiers, relations aval?

H. I.: Il me semble que, pour l’instant, c’est sur la partie aval que l’organisation commerciale est la plus révolutionnaire, tant le numérique oblige à repenser la notion même de point de vente et l’expérience qui s’y déploie. Comme le prouvent les initiatives Amazon Écho ou Google Home, qui déplacent le point de vente dans l’habitat au travers d’une simple interface vocale, ou encore Amazon Dash, qui permet de recommander automatiquement des produits d’usage courant par la simple pression d’un bouton. Sur la partie amont, la chaîne logistique est certainement largement améliorable, d’autant que les mutualisations de flux me semblent inévitables, du point de vue économique, pour servir les points de vente ou de consommation

Le commerce «de détail» peut-il survivre sans devenir commerce «de précision» par l’exploitation des données?

H. I.: Cela paraît difficile effectivement, mais je crois que le commerce de détail survivra également par la qualité de l’expérience en magasin.

Les systèmes d’information entre opérateurs de la chaîne d’approvisionnement sont-ils pour les PGC à la hauteur de la réduction promise des délais de livraison?

H. I.: Il semble qu’il y a aujourd’hui un réel défi dans la recomposition des systèmes d’information employés dans la gestion des approvisionnements. De fait, la transformation digitale impose de plus en plus une logique de gestion en temps réel. Beaucoup d’investissements me semblent nécessaires, pour parvenir à une telle maîtrise de l’information dans les chaînes d’approvisionnement.

En pratique, la numérisation favorise-t-elle beaucoup les solutions de mutualisation des flux physiques interentreprises?

H. I.: Actuellement, il n’y a encore pas ou peu de mutualisation. Mais elle me semble inéluctable, notamment pour l’approvisionnement des centres urbains. Les métropoles françaises mais aussi européennes réfléchissent toutes à déployer des CDU (centres de distribution urbains), limitant l’accès au centre-ville aux seuls flux issus d’une telle plateforme logistique. Le développement des réseaux de consignes (type Lockers d’Amazon) ne me paraît pas rentable sans la mutualisation de flux les approvisionnant.

En l’état actuel, les fournisseurs obtiennent-ils facilement de leurs clients des informations utiles sur les ventes? Les obstacles sont-ils de nature technique? La digitalisation est-elle en voie de les surmonter?

H. I.: L’obtention par les fournisseurs d’informations sur les chalands est un sujet qui constitue historiquement un élément du rapport de force entre eux et les distributeurs. L’accès au client final est dans la maîtrise de la valeur un enjeu essentiel que le numérique est en train de recomposer, par la facilité qu’il procure pour collecter des données. Il faut cependant bien mesurer les conséquences et à s’y préparer: les fournisseurs ne peuvent s’improviser distributeurs aisément, et passer d’une culture produit à une culture client n’est pas si évident.

En quoi la numérisation change-t-elle le marketing relationnel?

H. I.: Deux choses essentielles doivent être soulignées: premièrement, la possibilité de s’exprimer qu’a le consommateur dans des forums, dans des communautés et au travers d’«avis clients». Cet enjeu transforme la relation en conversation, ce que beaucoup de marques ont du mal à appréhender. Deuxièmement, l’émergence de réelles communautés de clients, plutôt que la relation entre l’entreprise et ses clients. La gestion de cette nouvelle relation nécessite un changement de posture et de nouvelles ressources.

Pourrait-on dire que le digital permet au CRM et à la logistique de converger?

H. I.: Ces deux fonctions doivent s’imbriquer de plus en plus, dans la mesure où la mise à disposition des produits est un élément essentiel dans l’expérience du client, notamment dans le commerce électronique, où la concurrence se joue précisément sur la capacité à livrer de façon quasi instantanée

 La grande consommation à dominante alimentaire peut-elle voir apparaître de nouveaux acteurs numériques obéissant à un autre modèle que celui d’Amazon?

H. I.: Oui, c’est tout à fait possible et cela existe déjà: La Ruche qui dit oui et Drive fermier montrent bien que des modèles alternatifs de vente de produits alimentaires se développent grâce au numérique.

Propos recueillis par J. W.-A.

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