Bulletins de l'Ilec

Fait des voisins - Numéro 482

30/06/2019

Avec Shopopop1, Comm’un panier2 ou Kangoumalin3 le digital se réinvente avec de vraies gens : ce modèle de la livraison chez des tiers est indien, et il semble promis à bien s’acclimater dans l’Hexagone. Parce qu’il pallie des insuffisances de l’accès à la consommation, en conjuguant vertu et efficacité. Sus au coffre vide ! Entretien avec Antoine Cheul, Shopopop

Votre modèle d’intermédiation va-t-il tuer le métier de livreur ?

Antoine Cheul : En aucun cas. Notre modèle, créé en 2015, a vraiment décollé en 2018. Il est le mélange de trois démarches : l’économie collaborative à la manière de Blabacar, le développement du drive et le système de livraison qui existe en Inde, le Dabbawallah (« livreur »), qui permet de livrer des repas aux maris sur le lieu de leur bureau à partir des repas fait par leur femme à domicile. Nous avons lancé le projet avec la grande distribution et notre ambition est d’avoir une efficacité logistique et sociale.

Aujourd’hui, les parcours de livraison sont souvent très chronométrés, les expériences très souvent négatives, notamment en milieu rural. Notre souhait est donc de mettre un peu plus d’humain et de disponibilité sur la logistique, de mutualiser, comme Blablacar qui fait la chasse au siège vide. Nous voulons faire la chasse au coffre vide. Nous n’avons pas l’intention de tuer le métier de livreur, car lorsque nous travaillons avec les enseignes qui ont déjà un système de livraison, nous venons en complément, parce que nous proposons une très grande flexibilité pour les créneaux horaires.

Nos « livreurs » n’ont pas un parcours de plusieurs livraisons à faire, une tournée, ils ne font que passer devant le point de vente, prendre la course, livrer et rentrer chez eux. Et nous permettons à des points de vente qui n’ont pas la capacité de s’offrir les services d’un livreur, en raison de petits volumes ou parce qu’ils se situent à la campagne où les distances sont parfois longues, de livrer néanmoins leurs clients. Pour qu’y soient offerts les mêmes services que dans les grandes agglomérations.

La qualité de voisin livreur commissionné n’est-elle pas assimilable à une forme de travail ? Le plafond que fixe votre plateforme à ce complément de revenu correspond-il à un seuil légal ?

A.  C. : Nous avons récemment embauché un data scientist pour vérifier que les gens n’utilisent pas Shopopop comme un moyen de vivre. Les livraisons doivent être les plus ponctuelles possible. Notre livreur moyen fait dix livraisons par mois, aussi ne peut-il pas prendre le métier de vrais livreurs et ses livraisons ne peuvent pas être assimilées à une forme de travail. Nous vérifions qu’il n’y a pas de récurrence trop forte et trop de dépendance. Nous plaçons le seuil de revenu à 300 euros par mois, ce qui permet certes à un particulier d’augmenter un peu son revenu, sans pour autant suffire à en constituer un tout seul. La qualité de nos livraisons en découle : quand un livreur ne fait qu’une livraison dans la journée il a le temps de prendre soin du client, car il n’a pas dix autres courses à faire derrière. À l’heure où les campagnes se vident, les relations sociales sont ainsi entretenues, ce qu’on ne peut pas attendre d’un livreur professionnel.

Est-ce que dans l’expérience de votre plateforme l’activité occasionnelle de voisin-livreur se développe surtout dans les milieux où il y a le plus besoin de complément de revenu ?

A.  C. : Pas obligatoirement. Nous travaillons autant dans des zones plutôt aisées que dans des zones plutôt pauvres. Au début, nous nous attendions à ce que beaucoup d’étudiants utilisent Shopopop, or nous touchons une population semblable à la population globale, puisque nous comptons 80  % d’actifs dans nos utilisateurs, quelques étudiants et quelques retraités, et 8 à 10  % de chômeurs. Chaque fois les classes d’âge se répondent : un étudiant possesseur d’une voiture veut un complément de revenu et va livrer un autre étudiant dans une ville, car cette livraison coûte moins cher que celle d’un hyper. Une personne qui travaille livre sur son trajet de retour la personne qui vient de récupérer ses enfants et est occupée à les aider dans leurs devoirs. Les seniors qui ne peuvent pas se déplacer ont recours à d’autres seniors, eux mobiles et à la recherche de contacts sociaux. On constate un turn over chez les livreurs, car cette activité dépend des aléas de la vie de chacun. Il n’y a pas de contrat, il n’y a pas d’obligation de faire une livraison.

S’il n’y a pas transfert de propriété au livreur, quelle est la responsabilité de ce dépositaire sans titre ? Sa responsabilité civile en cas de casse par exemple, ou de grand retard ?

A.  C. : Nous ne sommes pas commissionnés au transport, nous avons le même statut juridique que Blablacar et réunissons dans notre écosystème, outre nous-mêmes, quatre cents magasins, 67 00 inscrits sur la plateforme en tant que livreurs, et les clients dans près de neuf cents villes. D’ici à la fin de l’année, nous serons opérationnels dans toute la France, car nous signons avec une cinquantaine de nouveaux partenaires par mois (magasins drive, circuits courts comme La Ruche qui dit oui, des Amap…). Tous les six mois, nous doublons nos volumes et nous sommes actuellement à un rythme de neuf mille courses par mois. Nous livrons en moyenne cinq mille personnes.

En ce qui concerne la propriété, une fois que le livreur les a récupérées dans son coffre, il est responsable des courses qu’il transporte. Nous avons une assurance pour la casse, le vol. Une fois les courses livrées, un échange de codes se fait par SMS ou courriel entre celui qui est livré et le livreur, pour valider la livraison. Les cas de casse sont rares, et tout se règle à l’amiable. En cas de retard de produits frais ou surgelés, dans les périodes de grande chaleur ou d’embouteillage, par exemple, qui peuvent être préjudiciables aux biens livrés, nous demandons au livreur de ne pas livrer.

1. https://shopopop.com.
2. https://www.communpanier.com.
3. https://kangoumalin.fr.

Propos recueillis par J. W.-A.

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