Bulletins de l'Ilec

Editorial

Basique - Numéro 435

01/05/2013

Pas de chiffres, ils seront caducs dans une heure. Big Data est obèse sans remède. Mais elle est trop solide sur ses bases pour se laisser aller, alors qu’une armée de servants se constitue qui lui soumet le monde. Une armée d’élite, de gestionnaires de données qui tiennent les clés de l’avenir, et qui sait avec elles celles des organisations, marchandes ou politiques. Qui pourrait rivaliser avec leur savoir-faire, dans une économie où la seule activité productive véritable, « l’or noir du xxie siècle », est l’information ? L’enchevêtrement des réseaux multiplie les biens comme le faisait, sans rivaux, la terre des physiocrates : chaque donnée en produit d’autres, et ceux qui en maîtrisent la récolte ont le pas.

La prolifération des données, leur disponibilité (« ouverture »), la constitution de bases colossales, semblent renverser l’ordre de l’économie. La superstructure informationnelle (mots, images, sons aussi, par quoi se livrent profils de citoyens et de consommateurs, traits, traces et actions, comportements et opinions) est première, et le reste s’ordonne en fonction. Pas seulement dans la sphère marchande, à l’heure de l’open data annoncée par les gouvernements, tandis qu’un récent Livre blanc sur la défense met « l’accent sur la fréquence et l’impact potentiel de la menace que constituent les cyberattaques visant nos systèmes d’information ».

La donnée, c’est la base. Et une base généreuse, pas seulement par son abondance, aussi par son caractère spontané. La donnée est sans façon, elle se donne brut. Au rancart, les épuisettes de l’échantillonnage et des critères observables laborieusement tissées ! Avec l’instantanéité de leur production et de leur collecte, les données tendent à se faire exhaustives, explicatives à l’occasion, surtout prédictives avec aplomb. Et la connaissance en sciences humaines voit s’ouvrir une dimension où le « quanti » et le « quali » se fondent.

Le marketing y est déjà engagé. C’est sous cet aspect que ce Bulletin et le suivant abordent d’abord la question, avec en filigrane une interrogation sur le risque d’une ivresse des données. Le politique (qui a d’autres sujets d’emballement) accommode ces dimensions nouvelles avec plus de lenteur. Elles lui posent des défis (fiscalité, libertés, souveraineté…) qui seront évoqués aussi – car c’est peu dire que le politique les aborde ; il s’en imprègne, et s’en trouvera ébranlé sur ses bases.

François Ehrard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.