Bulletins de l'Ilec

Facile à dire - Numéro 485

17/12/2019

Le sujet a sans doute avancé dans les mentalités, et la plupart des consommateurs essaient de ne pas gaspiller. Pas si simple, surtout quand la culpabilisation s’en mêle. Entretien avec Guillaume Le Borgne, maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Savoie

Depuis la loi de 2016 visant le gaspillage alimentaire, la préoccupation spontanée du public vis-à-vis du gaspillage vous paraît-elle avoir progressé ?

Guillaume Le Borgne : C’est très difficile à évaluer. L’effet est cumulatif : une fois sensibilisée sur ce sujet, une personne le reste au moins quelques années, et à ce titre il semble plausible que la préoccupation spontanée du public progresse encore. Le sujet a occupé une place croissante dans les médias de 2012 à 2016. Il occupe aujourd’hui encore une place importante, et cohabite avec d’autres sujets liés aux ressources (climat, consigne du plastique et du verre) et à la consommation alimentaire (additifs alimentaires non souhaités, Nutriscore, applications nutritionnelles comme Yuka).

Les campagnes de sensibilisation des consommateurs au gaspillage sont-elles bien ajustées ?

G. Le B. : Il est impossible de répondre de manière générale à cette question. Les responsables des campagnes ont pour partie compris que l’humour pouvait être un ressort efficace de communication a priori non culpabilisante. Néanmoins, une partie des campagnes conserve un effet culpabilisant pour le consommateur. Tout d’abord parce qu’elles se centrent sur lui et sa responsabilité, qu’il partage en fait avec tous les acteurs des systèmes alimentaires. Ensuite parce qu’un message comme « c’est facile de ne pas gaspiller », s’il peut sembler anodin de prime abord, peut amener son lecteur à se sentir coupable de ne pas réussir à ne pas gaspiller. De fait, la plupart des consommateurs essaient de ne pas gaspiller, et ils n’y arrivent pas. Le non-gaspillage n’est pas qu’une question d’intention, c’est aussi une question d’organisation, souvent pas si facile à mettre en place, mais aussi de moyens techniques, de compétences, et de contexte sociotechnique favorable.

Rétrospectivement, était-il justifié de mettre la focale sur la seule alimentation, alors que c’est à l’égard des produits non alimentaires que l’aversion au gaspillage était la moins forte ?

G. Le B. : Dans les questions alimentaires, le gaspillage ne peut et ne doit pas être étudié « à part ». Pour répondre à cette question, on peut dire la chose suivante : les gaspillages alimentaires et non alimentaires peuvent avoir des origines communes, qui ne sont pas nécessairement à chercher en premier lieu chez le consommateur. L’organisation de la production, de la distribution, et la communication (publicitaire notamment) autour des produits vendus (alimentaires ou non) amènent par exemple régulièrement les consommateurs à devoir absorber un « surplus » (sous forme parfois de promotions à dates courtes, ou de soldes pour les vêtements).

Est-ce que cette polarisation sur l’alimentaire a été vraiment choisie, ou est-elle due surtout au fait qu’il existe pour l’agroalimentaire une tutelle administrative spécifique ?

G. Le B. : Je ne suis pas certain qu’il y ait eu une polarisation sur l’alimentaire, il faudrait des données pour que je puisse répondre. Quoi qu’il en soit, l’alimentation, en tant qu’élément vital pour nos organismes et en tant que base structurante des sociétés, n’occupera jamais une place trop importante dans l’agenda politique.

Le gaspillage est-il très élastique au prix ? Dans quelles catégories l’est-il le plus ?

G. Le B. : Je n’ai pas connaissance de données précises à ce sujet. Globalement, on peut bien sûr penser que le gaspillage a une élasticité aux prix fortement négative. Néanmoins, des paradoxes peuvent infirmer cette « règle » générale : des produits coûteux peuvent être gaspillés en contexte de fête (ou bien parce qu’ils sont gardés par le consommateur pour une grande occasion qui ne vient pas, ou consommés trop lentement). En outre, les produits coûteux sont en général achetés par des personnes au revenu plus élevé. Ainsi, en proportion du revenu, la dépense n’est pas nécessairement supérieure, et l’effet prix sur le gaspillage serait à remplacer plutôt par un effet « prix/revenu ».

Les consommateurs sont-ils segmentés entre grands, moyens ou petits gaspilleurs, ou diffèrent-ils surtout par les catégories de produits où il y a arbitrage entre ce qui peut être jeté et ce qui ne doit pas l’être (comme il y a des arbitrages entre postes de dépense) ?

G. Le B. : En restauration collective, on peut parler d’une telle segmentation, car le contrôle qu’ont les consommateurs sur les portions servies et les menus (et leur adéquation avec leurs préférences) est faible. Pour ce qui est de la consommation à domicile, il y a davantage un continuum de profils en termes de quantités gaspillées. Parce que le gaspillage peut arriver dans de multiples situations qui font que, sur le temps, cela étale les probabilités de gâcher. Il y a certes des personnes et des familles qui gaspillent peu, et d’autres qui gaspillent beaucoup, mais il y a aussi beaucoup de personnes entre les deux, comme le montrent les travaux du Wrap.1

1. Association britannique dont l’objet est la réduction de l’empreinte environnementale de la consommation : http://www.wrap.org.uk/

Propos recueillis par J. W.-A.

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