Bulletins de l'Ilec

Tous fils de pub ? - Numéro 462

26/12/2016

Le recours à la publicité participative présente pour les marques beaucoup d’avantages, mais parfois des risques dissuasifs. Le narcissisme créatif peut être impitoyable. Entretien avec Ronan Divard, maître de conférences en sciences de gestion, université Bretagne occidentale

Comment le consommateur peut-il être appelé à participer, dans l’univers publicitaire?

Ronan Divard : Sa participation peut revêtir trois formes. La plus simple et la moins risquée est de lui demander de choisir entre plusieurs messages celui qui sera diffusé. Le consommateur est là un simple juré. Des marques comme Nespresso et Oasis ont mené ce type d’opérations. La deuxième forme est le casting participatif. La marque organise un concours qui vise à faire apparaître un ou plusieurs consommateurs dans sa communication. L’opération peut aussi porter sur des animaux domestiques, voire sur des objets familiers (en 2005, Brandt a organisé en France un concours de doudous).

Ce genre d’opération, dont les ressorts sont voisins de ceux de la téléréalité, est très populaire, mais assez délicat à organiser, car les participants y mettent en jeu leur propre personne ou des êtres ou des objets qui leur sont chers. Benetton, Kinder, Kiabi, Axe et Dove y ont recouru, l’opération la plus emblématique étant celle du Comptoir des cotonniers, qui met en scène des duos mère-fille. La troisième option est la plus ambitieuse. Il s’agit d’inviter les internautes à participer à un concours de création publicitaire, récompenses à la clé. En général, des consignes et des contraintes créatives doivent être respectées. Converse, Renault ou Mini y ont eu recours.

Ces trois types de dispositifs peuvent être panachés. Les marques font couramment appel à des jurys pour départager des publicités créées dans des concours, et les castings participatifs se combinent parfois avec la création de messages où le consommateur doit se mettre en scène. À l’occasion de la Saint-Valentin 2016, Interflora a organisé un concours de déclarations d’amour faites par des internautes. Les meilleures ont été sélectionnées pour être intégrées aux messages publicitaires de la marque.

Pourquoi une entreprise choisit-elle d’associer les consommateurs à son activité publicitaire?

R. D. : Parce que les avantages qu’elle espère en retirer sont nombreux et significatifs, même si cela dépend de la nature de l’opération. Ces opérations permettent d’accéder à une foule de talents disséminés et de bénéficier de leur créativité. Un concours peut drainer des centaines de contributions : un nombre et une diversité de propositions qu’aucune agence n’est en mesure de proposer. C’est le principe même du crowdsourcing, un approvisionnement « par la foule ».

Lorsque la publicité est créée par un consommateur ou qu’il y apparaît, l’authenticité y gagne et facilite l’identification du public. Meetic, lors de sa campagne 2013, a fait appel aux personnes inscrites sur son site. Plus de dix mille se sont portées volontaires et les sept sélectionnées ont témoigné de manière émouvante, dans des messages réalisés par des spécialistes du documentaire. Dans la récente campagne participative de Volkswagen «Plus que nos voitures, vos histoires», les internautes étaient invités à adresser des photographies présentant un moment de vie où apparaissait une Volkswagen. Cela a abouti à des publicités touchantes, originales, authentiques, souvent empreintes de nostalgie. Il n’est pas sûr qu’une agence serait parvenue à un tel résultat.

Les concours publicitaires permettent de mieux connaître un univers de marque. Avec des centaines de propositions de messages, l’analyse de contenu offre une vision précise de la manière dont les consommateurs perçoivent la marque et vivent leur relation avec elle. Elle permet d’identifier les situations, les objets ou les personnages qui lui sont associés, ou une tonalité chromatique ou sonore. Elle enrichit, nuance, voire modifie la vision qu’une entreprise a de sa marque et peut améliorer la pertinence de son positionnement.

L’entreprise peut aussi espérer des retombées positives sur sa notoriété et son image. Le dispositif participatif peut entraîner une forte exposition, mais aussi un effet de rumeur, parce que ces opérations sont encore perçues comme originales, et sont souvent puissamment relayées sur Internet et dans les autres médias. Solliciter les consommateurs et tenir compte de leurs propositions ou avis rend la marque plus proche, plus chaleureuse, plus démocratique, plus authentique. Nous vivons une époque où l’interaction est privilégiée ; les communications unilatérales, assenées par l’entreprise et son agence, suscitent de plus en plus de résistance. Faire participer le consommateur sur un mode conversationnel, dans un climat de proximité et de connivence, est en phase avec le temps.

Les opérations participatives peuvent également créer du mouvement sur le site de l’entreprise et augmenter son audience sur les réseaux sociaux. Oasis a réussi, grâce à des opérations amusantes et décalées, à séduire une audience jeune et à augmenter considérablement sa popularité sur les réseaux.

La relation avec la marque profite de ces opérations. La participation est bénéfique en tant que telle : un consommateur invité à participer à une opération organisée par la marque et à s’exprimer sera plus enclin à s’attacher à la marque et à faire preuve de fidélité, même si son point de vue n’a pas prévalu. Les ventes aussi en profitent directement, notamment lors d’un lancement de produit, car faire participer des consommateurs potentiels favorise la rumeur autour du lancement et crée un climat de sympathie propice à l’essai et à l’achat.

Enfin, la publicité participative est, dans une certaine mesure, source d’économies : elle coûterait entre le quart et le tiers d’une création classique. Il ne faut toutefois pas se contenter de comparer les récompenses octroyées avec la rémunération ou les honoraires que l’entreprise aurait dû payer, car le coût de l’opération ne se limite pas aux dotations. Beaucoup de dispositifs sont complexes et impliquent des agences : monter une opération attractive a un coût !

Quelles sont les motivations d’un consommateur à participer à des campagnes?

R. D. : Elles sont diverses, et peuvent différer selon le public visé et la nature de l’opération. Le plaisir de participer à une expérience inédite et intéressante, qui rompt avec le quotidien, peut être un mobile puissant. Une autre motivation significative, du moins pour ceux qui créent les messages, est de s’accomplir. Beaucoup de gens ont des aspirations et des capacités créatives qu’ils ne peuvent exprimer dans leurs activités professionnelles ; leur proposer de créer des publicités peut leur servir d’exutoire.

La quête de reconnaissance joue aussi un rôle considérable. Sur Internet, n’importe qui peut avoir les « quinze minutes de célébrité » dont parlait Andy Warhol : la perspective de voir sa publicité diffusée ou son visage sur une affiche ou dans un message télévisé peut être très satisfaisant pour l’ego ; certains affirment que le narcissisme est le principal moteur du « web 2.0 ».

L’attrait des récompenses et l’occasion d’améliorer des compétences ou de se faire remarquer (notamment pour des jeunes en quête d’un emploi ou d’un changement d’emploi) peuvent également être des facteurs significatifs. Pour ceux qui se contentent de voter, non de créer, interviennent encore la satisfaction d’exercer une influence et le voyeurisme. Beaucoup de personnes aiment regarder les créations des autres ; elles aiment regarder les autres, comme le public de la téléréalité.

Quelles entreprises recourent à ce genre d’opérations?

R. D. : Des entreprises évoluant dans des secteurs divers ont eu recours à la publicité participative. Difficile de discerner des points qui leur seraient communs. L’une des plus réfractaires a longtemps été Apple, mais elle a fini par s’y engager, avec ses campagnes pour l’iPhone6 montrant des photos et des vidéos réalisées par des utilisateurs.

À vrai dire, il y a peu de contre-indications à une action participative, mais il me semble que trois conditions doivent être réunies pour qu’elle soit fructueuse. Tout d’abord, les risques sont plus élevés pour une entreprise dont le rôle sociétal est contesté. Les détracteurs risquent de se servir de l’opération comme d’une tribune pour dénoncer les actions de la marque. Ainsi Chevrolet avait invité à créer un message pour le lancement de son son SUV Tahoe, et nombre d’internautes en avaient profité pour dire tout le mal qu’ils pensaient de ce type de véhicules et stigmatiser l’irresponsabilité écologique de la marque face au réchauffement climatique.

Ensuite, il est souhaitable que l’entreprise dispose d’un noyau suffisant de fans ou de consommateurs engagés, pour ne pas s’exposer à ne susciter qu’indifférence. Enfin, il est nécessaire qu’elle ait une présence active sur les médias sociaux, qui sont les vecteurs naturels de ces opérations. Si ces deux dernières conditions ne sont pas réunies, l’entreprise, sauf si elle propose des récompenses mirobolantes, risque de se ridiculiser en recueillant un nombre dérisoire de propositions et de votes. Si elle a promis que les trois meilleures propositions seraient diffusées à une heure de grande écoute sur les principales chaînes de télévision, quel sera son embarras si elle ne collecte qu’une poignée de contributions !

Quels sont les limites et les risques de la démarche?

R. D. : La participation, dès lors qu’il s’agit de faire preuve d’inventivité, est souvent limitée et sélective. Les contributeurs sont plutôt jeunes et ont beaucoup de temps disponible. Même si un plus large public vote sur les propositions, rien ne dit qu’il sera représentatif, ni qu’il fera les choix les plus pertinents pour l’entreprise. La publicité préférée sera peut-être la plus originale, la plus décalée ou la plus amusante, mais pas forcément la plus en phase avec la stratégie de l’entreprise. Par exemple, la mémorisation de la marque est un critère essentiel pour elle, mais pas nécessairement pour le consommateur. C’est pourquoi la sélection finale est souvent confiée à un jury d’experts incluant des représentants de la marque. Le problème peut aussi se poser pour les castings participatifs. La marque de savon norvégienne Lano organise chaque année un casting de bébés. En 2010, les internautes ont placé en tête un enfant plus âgé et mentalement handicapé. L’entreprise n’avait pas anticipé un tel choix, mais a décidé de l’entériner, ce qui était certainement la solution la plus sage.

Quand une marque donne du pouvoir aux consommateurs, elle ignore ce qu’ils vont en faire. Il faut donc à ses responsables bien réfléchir à l’étendue du pouvoir qu’ils délèguent : sont-ils prêts à laisser les consommateurs s’approprier le territoire de marque, même de manière inattendue, ou préfèrent-ils limiter les risques en canalisant étroitement leur participation (par exemple, en leur proposant de choisir entre plusieurs messages)  Plus l’entreprise laisse de liberté, plus l’opération peut prendre une tournure imprévue et embarrassante. Mais si elle exerce un contrôle étroit, elle élimine une partie des ingrédients qui font l’intérêt du marketing participatif : la spontanéité, l’originalité et l’authenticité. Les résultats peuvent aussi être biaisés par des actions intempestives de candidats qui mobilisent leurs réseaux sociaux et provoquent des votes factices pour l’emporter.

Comme je l’ai souligné, quand l’entreprise est contestée, il est imprudent d’inviter à produire des contenus publicitaires. Les détournements peuvent être d’autant plus préjudiciables que les plates-formes d’échange de contenus, comme YouTube, peuvent les relayer puissamment. Il faut aussi que l’opération draine un grand nombre de contributions, car l’appel à un large public aboutit inévitablement à une qualité moyenne médiocre. Sur 500 propositions, il y a fort à parier que 450 seront tellement mauvaises ou inadaptées qu’elles iront directement à la corbeille. Faire produire des messages aux consommateurs génère un déchet énorme, sans compter que l’entreprise peut être confrontée à des problèmes juridiques (contenus illégaux ou protégés).

Une autre limite est que l’usure des idées est très rapide sur Internet. Les opérations reconduites à l’identique s’essoufflent vite. Il faut donc sans arrêt faire preuve d’inventivité et d’originalité dans les dispositifs pour capter l’attention du public et le stimuler.

Enfin, on ne peut passer sous silence que les opérations de cette nature, particulièrement les concours de créations, suscitent de vifs débats. Les critiques portent sur deux aspects. D’abord, le modèle met en concurrence des amateurs (la « foule ») et des professionnels (salariés et partenaires), qui voient leur expertise mise en question, resentent une concurrence déloyale et suspectent une forme pernicieuse de dumping social. Ensuite, les entreprises sont accusées de capter de manière inique la valeur créée par la foule des contributeurs. Dans le cas des concours, seules les meilleures contributions sont récompensées, par une dotation souvent dérisoire en comparaison des montants qu’il aurait fallu investir pour obtenir l’équivalent. Le travail de la masse des perdants n’est pas compensé.

Propos recueillis par J. W.-A.

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