Bulletins de l'Ilec

Enseignes et marques sous pression - Numéro 394

01/10/2008

Entretien avec Annie Girac, conseiller sectoriel, direction des études économiques et sectorielles, Euler Hermes Sfac

Votre étude Les Stratégies des distributeurs alimentaires pour préserver leurs marges menacées (1) montre que le taux de marge opérationnelle des distributeurs se contracte entre 2004 et 2006. Pour quelles raisons ? Annie Girac : Sur cette période, les distributeurs alimentaires ont été confrontés à des marchés en quasi-stagnation dans les pays industrialisés (Europe, Etats-Unis…), et la compétition s’est intensifiée entre enseignes, exerçant une pression renforcée sur les marges. En France, l’environnement législatif et réglementaire a changé. Avec la loi Galland, qui imposait le principe de non-discrimination tarifaire et l’interdiction de répercuter les marges arrière dans les prix de vente aux consommateurs, les distributeurs ont connu un âge d’or, de 1996 à 2003. Leurs marges d’exploitation en France se sont nettement améliorées (+ 2,5 points chez Carrefour et + 2,1 points chez Casino), grâce aux ristournes différées, qui ont constitué une marge garantie, la négociation commerciale se déplaçant des marges avant vers les marges arrière, et ces dernières connaissant une dérive, de 22 % du prix net facturé à 32 % en 2003. Cette période faste s’achève en 2004, avec le repositionnement tarifaire des MDD et des produits premiers prix pour relancer les ventes, et surtout avec l’accord Sarkozy de juin 2004, qui engage distributeurs et fournisseurs à baisser les prix des produits de grande marque. Cette première étape dans la refonte de la loi Galland est suivie par la loi Dutreil II en 2005, qui modifie le calcul du seuil de revente à perte des produits de marque, avec la déduction d’une part des marges arrière, qui devait permettre une baisse des prix de vente au détail. En données comparables (normes IFRS), la détérioration des marges opérationnelles dans la période 2004-2007 représente en France 1,3 point chez Carrefour (soit une marge de 4,1 % du chiffre d’affaires en 2007) et 1,2 point chez Casino (4,9 % du CA). La réduction des délais de paiement peut-elle induire une baisse de la rentabilité ? Chez quel type de distributeur la trésorerie pourrait se ressentir de la réduction des délais à soixante jours ? A. G. : A partir d’un échantillon de notre base de données EH Sfac, représentatif du secteur, le délai moyen ressort à quarante-sept jours à la date de clôture (vingt-quatre jours pour les sociétés au chiffre d’affaires compris entre 10 et 20 millions d’euros, et cinquante-six jours dans la tranche des plus de 500 millions d’euros). Apparemment, l’article 6 de la LME n’a pas d’impact sur la trésorerie et la rentabilité des distributeurs. Mais en réalité, l’impact en trésorerie risque d’être substantiel, et le besoin de financement s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, pour les grosses sociétés qui gèrent les entrepôts, approvisionnant des réseaux de magasins intégrés ou exploités par des indépendants. Toutes choses égales par ailleurs, l’impact sur la rentabilité pourrait être significatif. Le nombre de défaillances de magasins (hypermarchés, supermarchés et supérettes) a augmenté de 36 % en 2007 en glissement annuel (fin novembre), avoisinant cent défaillances. Vous annoncez une fourchette de 140 à 150 pour 2008. Quels types de distributeurs ces faillites affectent-elles le plus ? A. G. : La hausse des défaillances risque de toucher notamment certaines TPE et PME qui dégagent une faible rentabilité et ont une structure financière légère. Ces affaires exploitent souvent un seul magasin – supermarché ou supérette au sens de l’Insee, maxidiscompte compris –, lequel est sous contrat de franchise avec une grande enseigne, ou affilié à un groupement d’indépendants, voire sans enseigne. Quelle option stratégique vous paraît la plus efficace pour les distributeurs : une politique de marge ou la croissance de la rotation des volumes ? A. G. : Il n’existe pas de réponse unique. Tout dépend du modèle économique, qui diffère sensiblement selon les formats. Les structures de coûts, et donc le point mort, ne sont pas du tout comparables, selon qu’il s’agit de vente sur Internet de produits alimentaires, ou de l’exploitation de magasins en centre-ville, du type Monoprix, ou d’hypermarchés, ou encore de maxidiscomptes du type Aldi, aux coûts très serrés. Quel facteur joue le plus en faveur du maxidiscompte, parmi les distributeurs : la dynamique de ses marges par la compression des coûts de personnel, ou la forte rotation des volumes ? A. G : Tout concourt à la rentabilité du modèle. Il me semble que le facteur déterminant de la rentabilité du maxidiscompte repose sur un assortiment très court et peu profond (quelque mille références), ce qui se traduit par une forte rotation, mais ce qui favorise surtout la massification des achats. Cela permet de commander de très gros volumes à la référence, et de bénéficier d’importantes ristournes « à l’avant », via les barèmes d’écart et les effets de seuil. Les distributeurs s’enrichissent-ils plus par leurs implantations étrangères que par leurs magasins en France ? A. G : Durant toute la période régie par la loi Galland (1996-2003), les distributeurs français ont bénéficié d’une sorte de marge garantie sur leur marché domestique, ce qui a amélioré leurs résultats et leur a procuré des ressources pour financer leur développement à l’étranger. En revanche, ces dernières années, les résultats en France sont sous pression, et les marges s’érodent par rapport au niveau atteint précédemment, tendance qui devrait se poursuivre en 2008 et 2009. Les grands groupes réussissent toutefois à préserver leurs résultats consolidés, grâce notamment à l’optimisation de leur portefeuille d’implantations à l’étranger, par des recentrages et des consolidations dans les pays où ils détiennent une part de marché significative, ce qui permet l’amélioration de la rentabilité à l’échelon international. Comparer les performances des distributeurs et de leurs fournisseurs : quelles vous paraissent être les limites de l’exercice ? A. G. : Il est assez délicat de comparer les performances des industriels et des distributeurs, dans la mesure où ils ne se situent pas du tout au même niveau dans la chaîne de la valeur ajoutée. L’intensité capitalistique est naturellement beaucoup plus élevée dans l’industrie, notamment dans les industries agro-alimentaires, que dans le commerce. Par ailleurs, la distribution dégage structurellement un besoin en fonds de roulement négatif, qui constitue une ressource de trésorerie, alors que l’industrie a des besoins et doit financer son cycle d’exploitation. L’étude de Simon Parienté est intéressante, car elle permet de tenter une comparaison des performances des deux groupes, dans le cadre d’une approche reposant sur la rentabilité des capitaux engagés, en intégrant une valorisation théorique du crédit fournisseurs au coût du marché. Corrobore-t-elle vos propres analyses ? A. G. : Les deux études se rejoignent sur le constat que la rentabilité des distributeurs, bien que restant à un niveau encore élevé, s’est érodée dans la période 2004-2006 pour les raisons déjà évoquées. Comme indiqué précédemment, cette tendance s’est poursuivie en 2007, avec l’application pour la seconde année de la loi Dutreil II, qui prévoyait la répercussion d’une partie plus importante des marges arrière en baisses de prix au détail. Pour gagner un euro de retour sur investissement, quelles sont les immobilisations les plus coûteuses, celles des distributeurs ou de leurs fournisseurs ? A. G. : L’intensité capitalistique est naturellement beaucoup plus élevée dans l’industrie. Pour autant, on observe un alourdissement du coût du foncier dans le commerce, dans les pays matures, et notamment en France. Cela dégrade progressivement le retour sur investissement et doit être pris en compte dans le plan de développement des groupes. Et cela conduit d’ailleurs certains d’entre eux, comme Carrefour, à réorienter une partie de leurs investissements vers les pays émergents. Par ailleurs, la situation diffère fortement selon les pays. Ainsi, le niveau de marge opérationnelle est en moyenne plus élevé chez les distributeurs anglais, mais cela s’explique aussi par un coût du foncier beaucoup lourd qu’en France. Les lois Chatel et LME vont-elles inverser la tendance à l’érosion des marges d’exploitation de la distribution dont vous faite état ? Quels pourra être leur impact sur la rentabilité des enseignes, et sur le partage de la valeur entre distributeurs et industriels ? A. G. : La loi Chatel, applicable depuis le 1er mars 2008, a donné plus de liberté aux distributeurs, en permettant la répercussion de l’intégralité des marges arrière dans une baisse des prix de vente aux consommateurs. La loi du 4 août 2008 a supprimé le principe de non-discrimination entre enseignes et abaisse, à partir de 2009, le seuil d’autorisation pour les ouvertures de magasins. Toutes deux sont supposées avoir été adoptées pour accroître la concurrence. Elles se traduiront par une poursuite de la limitation des marges des distributeurs. A condition qu’en réaction, il n’y ait pas plus de concentration dans le secteur. Au vu de tous les secteurs économiques que vous observez, que diriez-vous du partage de la valeur dans celui des PGC, et de ses perspectives, en termes de rentabilité ? A. G. : Les fabricants de PGC et les distributeurs sont confrontés actuellement à une baisse en volume de leurs ventes et vont devoir probablement consentir des sacrifices tarifaires, notamment sur les marques nationales, pour relancer leur chiffre d’affaires. Les négociations qui démarrent pour la fixation des conditions d’achat en 2009 risquent d’être assez conflictuelles, chacun cherchant à préserver sa rentabilité. Les distributeurs mettront en avant le développement de leurs marques propres, au détriment des marques nationales, afin de faire pression sur les industriels. (1). www.eulerhermes.fr/fr/etude-distribution/etude-distribution.html.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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