Bulletins de l'Ilec

Données, enjeu global et défi marketing

Le “quanti” et ses pièges - Numéro 436

01/06/2013

Le big data n’en est qu’à ses débuts, car le flot de nouvelles données ne va cesser de grossir. Leur volume accentue la nécessité pour les annonceurs de savoir précisément ce qu’ils cherchent.

Quand on parle d’« intelligence [du] consommateur », en liaison avec l’idée de « big data », s’agit-il de l’intelligence dont font preuve les consommateurs, ou de celle que le marketing déploie pour les connaître ?

Marco Tinelli : C’est l’intelligence du marketing qui repose sur l’intelligence du consommateur, le mot intelligence devant être pris dans son sens anglais, celui de la compréhension, de l’empathie. On s’adresse aujourd’hui à des consommateurs intelligents que l’on doit respecter.

Faut-il s’attendre à une extension sans fin des points de contact multipliant d’autant les sources de données ?

M. T. : Oui, dans la mesure où l’ensemble des médias va se digitaliser. Même si nous disposons de beaucoup de données sur le comportement des consommateurs, la télévision, la voiture, la radio, la maison, le magasin, vont se digitaliser et se connecter, multipliant d’autant les sources de données, nous entraînant dans le « big big data ». Nous n’en sommes qu’à l’origine des sources de données qui pourront être exploitées. Aujourd’hui, les sources de données existantes sont très sous-exploitées.

Toutes les données, directes (effet de l’acte d’achat ou de connexion), indirectes (avis, partages d’expériences…), comportementales, déclaratives, transactionnelles…, sont-elles indifféremment exploitables ?

M. T. : Non, bien sûr. Deux types de données doivent être distingués : les données quantitatives, à savoir comportementales, transactionnelles, et les données déclaratives, sous réserve qu’elles soient formatées (répondre à un sondage…). On arrive à traiter les secondes correctement en phénomène de big data, car on ne fait pas d’analyse détaillée, sémantique, des messages ; on fait du scoring2.

Le problème posé par le big data est le suivant : soit on se fie à une boîte noire, or elle ne réfléchit pas à votre place ; soit on commence par réfléchir à ce que l’on veut vraiment savoir, et on analyse ensuite le recueil des sources de données pour définir en quoi elles peuvent informer sur ce qu’on veut savoir. Le fait qu’un consommateur se connecte régulièrement à tel ou tel site prouve qu’il est intéressé par son contenu. Mais si un consommateur revient régulièrement sur un site en cliquant sur un lien dans une newsletter, du fait de la nature de ce support il n’y a pas traçabilité de l’entrée sur le site par les outils d’observation. C’est de l’orfèvrerie, ce n’est plus un phénomène big data, un phénomène « quanti » de masse.

Avant d’exploiter les données, l’annonceur doit préciser ce qu’il veut savoir sur ses consommateurs. Il doit se poser trois questions : qu’a-t-il à leur proposer en termes de contenu, d’information sur la marque ; quel chemin, quel canal, physique ou virtuel, doit-il leur faire prendre pour qu’ils achètent ses produits ; que doit-il apprendre à repérer dans le flux des données, pour optimiser ce flux ? Il est très facile de se noyer dans le big data !

Donnée à T 0, action à T 0 : la synchronisation, l’instant personnalisé, est-elle le mode opératoire optimal pour un marketeur ?

M. T. : Non, car il y a deux niveaux de synchronisation. La synchronisation individuelle, en temps réel ou temps proche, qui adapte à l’instant T le bon message, le bon contenu, la bonne offre. Le deuxième niveau fait appel à la sagesse du temps, nécessite un peu de recul : c’est l’optimisation de la performance ou la synchronisation créative, qui prend le temps de l’analyse sur la longue durée, pour adapter le fond du discours d’une marque.

Le marketing devient-il une science exacte en s’affranchissant du dictat de la moyenne (segmentation, panier moyen...) ?

M. T. : Oui, mais il reste fort heureusement une partie créative, intuitive. Si le big data a fortement développé l’hémisphère gauche du cerveau, ce qui fait toujours la différence, ce sont les idées créatives. La pertinence est certes rationnelle, mais elle est aussi émotionnelle. N’oublions pas que dans la science, il y a un domaine de créativité très riche.

Le « marketing synchronisé » est-il le produit obligé d’une révolution technologique dans la collecte et le traitement des données ? Est-il réductible à un algorithme ?

M. T. : Non, il n’est pas réductible à un algorithme, car il est une vision stratégique faite par chaque marque. Le marketing synchronisé consiste à doper l’efficacité en synchronisant les actions, les campagnes, les expériences de clients, avec la performance. Oui, il est le produit obligé d’une révolution technologique, car au vu du coût de son déploiement, intellectuel, créatif, technologique et humain, il est impensable de ne pas profiter d’une réduction de 30 à 40 % des frais de communication.

Le « déluge de données » expose-t-il davantage les marques au risque de fausses informations ou de piratage que le marketing traditionnel ?

M. T. : Non. La fraude demeure un épiphénomène. Il y a plus de fraudes dans les médias traditionnels. Nous n’avons pas d’exemples d’annonceurs ayant été pénalisés, déstabilisés par de fausses informations produites en ligne.

L’impératif de rapidité de traitement (en millisecondes pour les enchères allouant les espaces publicitaires des sites selon les internautes) conduit-il à un traitement plus sommaire que celui qui répond aux standards de la modélisation ou de la statistique descriptive ?

M. T. : C’est l’inverse. Le besoin de rapidité oblige à avoir des idées claires sur ce que l’on veut savoir. Le marketing synchronisé est fondé sur le profil « 4 D » : le marketeur doit savoir combien le consommateur vaut pour sa marque, combien il est prêt à dépenser pour lui, ce que le consommateur aime et quel est son canal préféré. En fonction de ces quatre informations, le marketeur doit prendre des décisions en temps réel.

Si une marque a le moyen de cibler en continu ses consommateurs potentiels (comme en mode boîte noire), a-t-elle encore besoin d’en conserver la mémoire (« connaissance du consommateur ») ?

M. T. : Oui, la mémoire du consommateur constitue l’actif principal des marques. Ce sont les gens qui seront les plus informés qui, demain, vont gagner.

Les données sont-elles devenues seulement beaucoup plus massives, ou plus diverses et nouvelles en qualité ?

M. T. : Les trois.

Big data et ses outils marque-t-il la fin du gaspillage de données ?

M. T. : A priori, oui, mais tout dépend de leur traitement. Jusqu’alors, le marketing a été un lieu de gaspillage de données. La limitation du gaspillage va pouvoir donner des effets de levier en termes de dépenses médias.

Les outils prédictifs à l’œuvre avec les mégabases de données sont-ils performants au-delà du court terme, ou myopes aux signaux faibles ?

M. T. : C’est un sujet très important. Ce ne sont pas les mêmes modèles du big data qui vont traiter les performances à court terme et les signaux faibles. Ce sont deux usages radicalement différents des mêmes sources de données, et ils appellent des talents, eux aussi, différents.

Le marketing pourrait-il céder à une ivresse des données ?

M. T. : Oui, le premier effet du big data est qu’on se noie dans les données. On pense avoir atteint un Nirvana de l’information, alors qu’il faut apprendre à sélectionner les données intelligibles.

1. Auteur de Marketing synchronisé, changer radicalement pour s’adapter au consommateur de l’ère numérique, Eyrolles, 2012.
2. « Technique de hiérarchisation de données qui permet d’évaluer par une note ou un score la probabilité qu’un individu réponde à une sollicitation ou appartienne à la cible recherchée. Le score est obtenu à partir des données quantitatives et qualitatives disponibles sur l’individu auxquelles est appliquée un modèle. » (Source : Definitions-marketing.com.)

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.