Bulletins de l'Ilec

Données, enjeu global et défi marketing

Anonyme et bien connu - Numéro 436

01/06/2013

L’abondance de données qui n’ont rien de personnel suffit à n’adresser à des consommateurs mieux ciblés que des messages pertinents. Les respecter suppose qu’ils aient la maîtrise des données qu’ils produisent. Entretien avec Alain Lévy, président-directeur général de Weborama1

Avez-vous le sentiment d’être un acteur d’une « quatrième révolution industrielle » ?

Alain Lévy : Certainement. L’expression de « quatrième révolution industrielle » est appropriée pour qualifier ce à quoi nous assistons, avec l’explosion du big data, qui constitue une nouvelle rupture historique après la troisième révolution industrielle qu’a représentée l’émergence des technologies de l’information et de la communication.

Weborama s’est organisé autour de l’idée que le big data allait changer le marketing et le média. Depuis la création de la société, en 1998, nous collectons, traitons et organisons les données. Nos investissements dans le service recherche et développement, notamment dans les solutions de stockage massif et les algorithmes de traitement, nous permettent de disposer de technologies très rapides et très robustes. Depuis longtemps, nous pratiquons le ciblage comportemental et l’achat d’audience (plutôt que l’achat traditionnel, thématique). Avec le développement du « RTB », l’achat en temps réel au moyen des plates-formes d’ad exchanges2, le marché arrive à maturité sur ces sujets, et Weborama propose des solutions complètes pour les annonceurs, les agences et les éditeurs.

Redoutez-vous une taxe sur l’exploitation des données personnelles ?

A. L. : Non, nous considérons que Weborama n’est pas concerné par ce sujet, pour la simple raison que nous n’exploitons pas de données personnelles. Nous n’utilisons que des données de navigation strictement anonymes. En l’état, ces données ne sont pas considérées comme des données personnelles. Pour le dire de manière un peu plus technique, même si au sein de Weborama Audience Manager, notre plate-forme de gestion de données, l’annonceur peut intégrer, entre autres, les données CRM3, celles-ci seront toujours rendues anonymes.

Depuis toujours, nous portons une attention particulière au respect de la vie privée de l’internaute, en veillant à ce que, conformément à la législation, il puisse non seulement être informé sur les pratiques de collecte, mais aussi rester le maître de ses propres données.

Que pensez-vous du rapport Collin et Colin, qui propose de taxer l’exploitation des données, en réduisant la taxe en cas de bonnes pratiques (quand les sites collecteurs acceptent de partager ces données avec les personnes concernées…) ?

A. L. : L’idée de donner à l’internaute l’ensemble des informations le concernant est bien sûr positive dans son principe. Mais j’ai des doutes quant à son application pratique. Comment superviser un tel dispositif ? En particulier s’il s’agit de données anonymes ? La proposition ne serait donc pertinente que pour une poignée d’acteurs, et j’ai du mal à imaginer son application à l’ensemble du marché de la « data ».

Faut-il s’attendre à une extension sans fin des points de contact, multipliant d’autant les sources de données ?

A. L. : Il paraît en effet certain que les points de contact vont continuer de s’étendre, probablement même à un rythme accéléré. Pour autant, la prolifération des sources de données ne devrait pas signifier la surdose de communication. Au contraire : l’abondance de données brutes permet de mieux comprendre les attentes du consommateur, et de s’adresser à lui de manière pertinente. Ainsi, en maîtrisant la pertinence des publicités, on peut opérer avec une répétition moindre.

Toutes les données, directes (effets de l’acte d’achat ou de connexion), indirectes (avis…), comportementales, déclaratives, transactionnelles, sont-elles indifféremment exploitables ?

A. L. : Toutes ces données sont utilisables, seules ou agrégées – à condition d’être suffisamment fraîches. En fonction du type de données, la durée d’exploitation peut aller de quelques heures à environ deux mois. L’essentiel est de déterminer quel type de données utiliser par rapport à tel objectif. Ensuite vient une phase cruciale de segmentation et d’évaluation qualitative, qui vise à ne laisser dans le dispositif que la donnée utile, et donc des contacts utiles. La donnée brute n’a pas de valeur, c’est son traitement qui permet son déploiement, par exemple dans des campagnes médias.

1. Numéro un européen du management, de la diffusion et du suivi des publicités ciblées sur Internet. Alain Lévy est l’auteur de Sur les traces de Big Brother, L’Editeur, 2010.
2. Plates-formes où une inscription suffit à des annonceurs (ou agences) pour acheter à des régies en ligne, selon des procédures de ciblage automatisées en « temps réel » (real time bidding), des animations publicitaires sur les sites correspondant à leurs cibles.
3. Gestion de la relation avec la clientèle (customer relationship management)

Propos recueillis par J. W.-A.

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