Bulletins de l'Ilec

L’enjeu de la santé, nouvelle frontière - Numéro 437

01/08/2013

La singularité des biotechnologies « rouges », sur le plan tant de la recherche que des capitaux nécessaires, appelle un soutien de l’Etat. D’autant plus que la France dispose d’atouts pour bien figurer dans cette quatrième révolution industrielle. Entretien avec David Sourdive, responsable de la mission « Mieux se soigner » au ministère du Commerce extérieur1

Vous êtes mandaté par la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, afin d’améliorer les performances françaises à l’exportation dans le domaine de la santé. Quels sont les atouts de la France dans la compétition internationale et ce qu’elle doit au plus vite améliorer ?

David Sourdive : La mission que m’a confiée Nicole Bricq procède d’une analyse plus large. Constatant d’une part l’émergence, dans plusieurs régions du monde, de couches moyennes désireuses de mieux se soigner, et d’autre part la pertinence de l’offre française pour répondre à cette demande, la ministre a recensé quarante-sept pays auprès desquels un effort particulier doit être déployé pour que les acteurs du secteur, en particulier les PME, puissent y gagner des parts de marché. Le périmètre de la mission inclut les grands marchés des acteurs des biotechnologies mais aussi les émergents.

La France occupe une position compétitive dans le domaine du médicament, avec un grand groupe mondial et plusieurs acteurs de taille moyenne. Elle dispose d’un tissu de sociétés très innovantes en dispositif médical. Son système de santé est une référence que de nombreux pays regardent avec intérêt. Elle a des champions de niveau mondial dans la sphère académico-clinique. Enfin, son secteur des biotechnologies, quoique jeune, recèle des acteurs à fort potentiel, dans des gisements de croissance pour les décennies à venir.

Quelle sont les opportunités pour l’offre française en matière de biotechnologies « rouges » (biotechs à visée médicale) ?

D. S. : Ma mission porte également sur ce secteur. Parmi les territoires visés figurent les grands marchés de la biotechnologie, y compris les Etats-Unis : c’est notamment vers ce pays que seront orientées certaines actions en matière de biotechnologies. En outre, certains pays émergés entreprennent de développer leurs propres industries de santé et sont susceptibles de receler des opportunités pour nos acteurs « technologiques ». Enfin, une épargne intéressée par l’investissement dans des valeurs technologiques émerge en Europe. Elle pourra directement intéresser notre secteur des biotechnologies.

Le statut Jeune Entreprise innovante a-t-il aidé à grandir les PME françaises actives dans les nano et biotechnologies « rouges » ?

D. S. : Une des spécificités des biotechnologies (ou plus généralement des industries de santé) réside dans les délais longs qui séparent l’invention ou l’innovation de la mise sur le marché. Un statut qui permet aux entreprises d’investir davantage, au démarrage de leur projet, a certainement un impact positif. Cet effet serait sans doute optimal si la durée de ce statut était adaptée à la réalité du secteur, en étant significativement allongée pour se rapprocher de celle d’un cycle complet de mise sur le marché.

L’intensité capitalistique des développements de thérapeutiques constitue une seconde spécificité du secteur. Il faut investir des centaines de millions d’euros pour porter le développement complet d’un candidat-médicament. En tenant compte du taux d’échec des molécules en investigation clinique, il faut investir près de 2 milliards d’euros pour qu’un médicament soit mis sur le marché avec succès. Au-delà des premières années de développement de leurs projets, les sociétés de biotechnologies ont besoin de financements que seul un accès facilité à l’épargne du plus large public rend possibles, faute de quoi les sociétés sont destinées à se vendre ou à se localiser là où la ressource financière est accessible. Là encore, un statut qui rendrait les sociétés de biotechnologie attractives une fois cotées, parce qu’elles investissent massivement en R&D, parce qu’elles assument les risques inhérents à l’innovation dans ce domaine, compléterait utilement les dispositifs en place.

La BPI est-elle opérationnelle et active dans le secteur que vous représentez ? Et l’accès au capital-risque adapté ?

D. S. : Plusieurs composantes originelles de la BPI – Oséo, FSI, CDC-Entreprises… – opéraient déjà pour les biotechnologies. Il faut encourager la BPI, qui entame son activité sous cette forme rassemblée, à renforcer ses actions vers ce secteur, dans toutes les modalités qu’elle déploiera. L’épargne du plus large public s’investit peu, en France, dans l’innovation, en particulier celle qui relève du capital-risque visant les biotechs. De même, la profondeur du marché des capitaux (y compris pour les sociétés cotées) reste limitée par rapport à ce que l’on observe aux Etats-Unis, où de nombreuses équipes spécialisées sont à même de suivre et d’accompagner des sociétés très innovante. Au-delà de l’appui au capital-risque visant les biotechnologies, la BPI peut susciter un effet vertueux à plusieurs niveaux dans le secteur. En appuyant des champions nationaux dans leur développement et leur croissance externe, à travers un actionnariat fort et stable, elle peut favoriser l’avènement d’acteurs taillés pour la compétition mondiale. Le secteur français des biotechnologies sera d’autant plus actif qu’il connaîtra des précédents, des success stories, auxquels les investisseurs pourront se référer.

La France n’a-t-elle pas accumulé du retard dans la course industrielle aux biomédecines fondées sur les cellules souches, du fait d’un encadrement réglementaire drastique de la recherche (loi de 2004 modifiée 2011) ?

D. S. : Il faut saluer les efforts récemment relancés par le gouvernement pour modifier le contexte législatif et passer à un régime d’autorisation encadré. Pour que cette démarche ait un impact sur les développements industriels, il convient de définir rapidement un cadre allant bien au-delà de la seule recherche, apportant visibilité et stabilité aux opérateurs qui investiront dans les applications industrielles, notamment dans les thérapies que ces cellules pourront permettre.

La France a-t-elle dilapidé, dans le domaine de la génomique, les atouts qui étaient les siens il y a vingt ou vingt-trois ans, quand Généthon était un pionnier du séquençage et du génotypage ?

D. S. : Je vous laisse la responsabilité de votre hypothèse. Ce qui importe, en particulier pour la mission que je mène, réside dans la compétition à laquelle nos entreprises doivent prendre part, et y prendre toute leur part. Le contexte évolue rapidement : tant du point de vue de l’offre technologique, tirée par l’innovation mondiale, que de la demande, où les contextes industriels et les systèmes de santé connaissent des transformations importantes dans plusieurs régions du monde. Ces mouvements créent autant d’opportunités, notamment par des approches plus collectives à l’exportation. C’est l’internationalisation des PME qui les fera grandir et devenir des entreprises de taille intermédiaires.

Une logique de « filière » (encore affirmée dans le rapport Gallois) aurait-elle été préjudiciable aux biotechs en France, en les soustrayant à la « fertilisation croisée » (informatique, exploration de données appliquée au séquençage du génome…), en dépit de la vocation des pôles de compétitivité ?

D. S. : Je vous laisse cette spéculation rétrospective. En fait, l’enjeu principal réside dans la structuration du tissu industriel et l’inscription des acteurs des biotechs dans une logique visible, capable d’intégration jusqu’au marché. Même si elle s’applique au-delà des seules biotechnologies, l’approche adoptée par la mission, centrée sur des opportunités ciblées, procède d’une même logique.

La France joue-t-elle résolument la carte industrielle de la convergence entre biotechs, nanotechs et TIC ?

D. S. : Je n’ai pas d’information sur un plan qui serait piloté au niveau national dans cette direction. Toutefois, on constate que les acteurs, de par le monde, adoptent un mouvement en ce sens. Une révolution est en effet à l’œuvre depuis une petite décennie : le vivant est devenu un objet d’ingénieur. La capacité de façonner de manière précise, rationnelle et maîtrisée les systèmes biologiques (micro-organismes, cellules humaines, organismes animaux ou végétaux) amorce l’émergence d’ensembles industriels déployant ces capacités dans de multiples secteurs : énergie, agriculture, biotechnologies de la santé, matériaux, etc.

Le vivant devient un objet d’ingénieur, qui le conçoit, le façonne, l’éprouve et l’adapte à un usage particulier. L’ingénierie du génome (i.e. des « conditions initiales ») d’un système biologique et de sa différentiation ou réponse à son environnement (i.e. des « conditions aux limites ») récapitule la « boucle de l’ingénieur », déjà à l’œuvre dans les technologies de l’information et de la communication, par exemple. Notre pays dispose d’atouts et de champions dans ce domaine, appelé « biologie synthétique ». Gageons qu’il saura les reconnaître et les appuyer dans la compétition mondiale.

Le principe de précaution inscrit dans la Constitution est-il un frein à l’investissement dans les nouvelles technologies ?

D. S. : Les travaux ayant conduit à l’adoption du principe de précaution l’avaient défini comme un principe d’action, d’investigation, d’expérimentation et d’évaluation. Une lecture dévoyée en fait un principe d’abstention. C’est une profonde erreur, procédant d’une mécompréhension de la notion de risque, laquelle est toujours relative. Les actions ou absences d’action ne sont pas risquées ou non risquées dans l’absolu, mais plus ou moins risquées les unes par rapport aux autres. L’investigation, voire l’instruction d’un scénario est l’application même du principe de précaution. J’ajoute qu’un processus d’amélioration itératif (« essai-erreur ») nous a permis, au cours de l’histoire, d’améliorer nos vies (par exemple notre santé, mais aussi notre sécurité alimentaire). Il est capital de s’autoriser à essayer, à innover, à tenter et à recommencer, encore et encore, pour avancer.

Chaque jour des milliers de personnes innovent, créent, changent une habitude ou une pratique et, par là même, perturbent un ordre établi. Quelle qu’elle soit, par essence l’innovation (scientifique, sociétale, commerciale, administrative, etc.) emporte une part d’inconnu. Tant que cet inconnu n’a pas été levé par la mise en œuvre effective de cette innovation, il demeure un aléa et donc un risque. Il n’est pas question de supprimer le risque, vision illusoire et stérilisante – une société sans risque serait une société sans liberté –, mais de le reconnaître comme partie intégrante de l’activité humaine, et de le mesurer pour ce qu’il est. Cette approche raisonnée s’applique directement aux PME qui franchissent le pas et se déploient à l’exportation. Cette démarche emporte toujours quelques risques, mais ne pas la conduire serait encore plus risqué. 

1. David Sourdive est le cofondateur et le vice-président de Cellectis, société d’ingénierie des génomes (www.cellectis.com/fr). 2. Cf. Institut de l’entreprise, Pôles de compétitivité : transformer l’essai. p. 43.

Propos reccueillis par J. W.-A.

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