Bulletins de l'Ilec

Nécessité et dérives - Numéro 466

31/07/2017

Structure du marché, habitudes sectorielles ou événements récurrents alimentent une course à l’innovation où les consommateurs savent faire la part des choses. Entretien avec François Laurent, ConsumerInsight, conseil en marketing

La capacité d’une entreprise de résister à la tentation de la fausse innovation tient-elle à la nature de sa gamme ?

François Laurent : Bien sûr. En cosmétique, toutes les marques lancent de pseudo-nouveaux produits à longueur de temps : les consommateurs ne sont pas dupes, mais cela ne change pas grand-chose : la hiérarchie entre les marques demeure stable, et les clients ne se leurrent pas sur des avantages qui n’en sont pas. En fait, c’est juste une affaire de dérive de communication sectorielle.

Une innovation de marque peut-elle s’imposer si elle n’est pas d’emblée référencée dans la plupart des enseignes ?

F. L. : Renversons la question : un distributeur peut-il passer à côté d’une vraie innovation ?

Combien de temps peut-elle tenir si elle ne devient pas multi-enseigne ?

F. L. : Pas longtemps, sauf si c’est un produit de niche très sélectif, ou si la marque choisit stratégiquement de ne pas dépendre de la distribution classique, comme Nespresso. Tout est question de rapport de force avec la distribution, et c’est vrai que pour les produits de consommation courante, elle tient le haut du pavé ; heureusement, Internet peut permettre de la contourner, ce qui a fait le succès de Dell à sa période de gloire.

La marque, quand elle est forte, protège-t-elle d’un retrait prématuré des linéaires le produit nouveau ?

F. L. : Sans doute, et c’est un problème de négociation avec les distributeurs, mais c’est juste provisoire : si le produit n’est pas bon, la logique de la rentabilité reprend vite le dessus, et on sort : le mètre de linéaire coûte cher.

La capacité d’innover est-elle d’autant plus forte que la marque est forte ?

F. L. : Non : Sony, marque ultra-puissante qui s’est vue dépasser par Samsung, est un cas assez exemplaire, mais il y a pire : Nokia par exemple. Bien souvent, les propriétaires de marques s’endorment sur leurs lauriers et croient que rien ne peut les atteindre. Il n’y a rien de pire que la puissance pour devenir une marque figée, au bord de la chute.

Observe-t-on une tendance à la réduction de la fenêtre de tir pour le lancement d’une innovation ? Affecte-t-elle tous les secteurs ?

F. L. : Dans la cosmétique, tout semble englué dans les habitudes du secteur ; dans les produits technologiques, les marques lancent plusieurs gammes par an, ce qui ne signifie pas qu’il y a de réelles nouveautés, bien visibles pour le client : le passage de l’USB 2 à l’USB 3 n’a pas déclenché l’hystérie des acheteurs. Il y a en revanche des rendez-vous à ne pas manquer : pour un fabricant de télévision, rater une Coupe du monde de football est une faute grave.

La force d’une marque lui permet-elle de maîtriser l’opportunité et le calendrier de l’innovation ? Et si oui, plutôt par la capacité à ne pas se laisser imposer la course à l’innovation, ou, dans un processus d’innovation particulier, par sa capacité à imposer son calendrier ?

F. L. : L’innovation ne dépend pas que de la marque, mais aussi des technologies et des évolutions sociétales auxquelles il faut répondre. Sortir de la course à l’innovation, c’est juste prendre le risque de se laisser dépasser par les compétiteurs et, comme Sony, de s’affaiblir. En revanche, il faut éviter la course aux pseudo-innovations.

La marque peut-elle légitimer de fausses innovations ?

F. L. : Oui, mais pas éternellement, et c’est exceptionnel : tout le monde garde à l’esprit la marionnette de Steve Jobs aux Guignols de l’info présentant des évolutions cosmétiques comme des révolutions : Apple a su, dans la foulée des vraies innovations de rupture, tromper son monde avec certaines innovations très mineures. Mais tout cela n’a qu’un temps, et le succès de la marque dans la téléphonie n’a pas empêché ses échecs dans la télévision connectée, voire la montre – dans le domaine des hautes technologies, où les vraies innovations sont nombreuses, le faux ne passe pas, ou ne tient pas longtemps.

Propos recueillis par J. W.-A.

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