Entretiens

À chacun selon son besoin d’info

16/02/2022

Alors que le Nutri-Score livre à tout le monde une information identique, l’information produit pertinente peut être à géométrie variable. C’est le pari de MyLabel, appli mobile multicritère, et de son volet Nutri Perso pour l’alimentaire. Entretien avec Christophe Hurbin, cofondateur de MyLabel, et Pascale Hebel, directrice du pôle consommation au Crédoc. (N.-B. : les deux entretiens ont été conduits séparément.)

Comment est née l’idée de concevoir le Nutri Perso avec l’INC et le Credoc ?

Christophe Hurbin : MyLabel permet aux consommateurs d’évaluer les produits alimentaires de façon personnalisée. Pour la nutrition, un des critères de l’application, nous nous sommes demandé comment aller plus loin dans la personnalisation. Nous nous sommes tournés vers le Credoc et l’Institut national de la consommation, qui disposent d’une solide expertise interne en nutrition. Il est ressorti de la réflexion commune qu’il est possible de personnaliser l’information nutritionnelle selon l’âge et le sexe, en l’adaptant à la portion réellement consommée. Ainsi est né le Nutri Perso. Alors que le Nutri-Score permet d’évaluer le produit de manière intrinsèque pour un humain moyen. Le Nutri Perso évalue le produit en tenant compte d’un profil de consommateur et d’un comportement alimentaire lié à une taille de portion. Le Nutri-Score peut être affiché directement sur l’emballage des produits. Le Nutri Perso est adapté à un affichage digital dynamique. Il s’agit d’un complément au Nutri-Score.

Qu’a apporté le Crédoc à la conception du Nutri Perso ?

Pascale Hebel : Le Crédoc a fourni avec son enquête alimentaire, Comportements et Consommations alimentaires en France de 2019 les tailles de portion des différents groupes de population permettant d’adapter les recommandations à l’âge et au sexe de chacun. La portion moyenne réelle de chaque catégorie de population a pu être affectée à chaque individu selon son âge et son sexe.

Un produit mal noté dans le Nutri-Score (par exemple certains fromages) peut-il être mieux noté avec le Nutri Perso et inversement ?

C. H. : Le Nutri Perso peut être plus favorable que le Nutri-Score à des produits comme le chocolat, le fromage ou l’huile d’olive, car la portion moyenne habituellement consommée est inférieure aux 100 g ou 100 ml du Nutri-Score. Si cette portion a un impact nutritionnel limité au regard des besoins journaliers, le produit peut afficher un Nutri Perso vert. Si la portion habituellement consommée est trop riche au regard des besoins, le Nutri Perso reste rouge. Le message est chaque fois celui de Santé Publique France : il est possible d’intégrer un produit D ou E dans une alimentation équilibrée s’il est consommé en faible quantité. À l’inverse, le Nutri Perso peut être moins favorable que le Nutri-Score à d’autres produits comme certains jus de fruits ou plats préparés, lorsque la portion moyenne habituellement consommée est supérieure aux 100 g ou 100 ml du Nutri-Score.

Moyenne segmentée

Le Nutri Perso peut-il conduire à consommer davantage ?

P. H. : Nutri Perso peut conduire à consommer plus souvent des produits qui sont étiquetés E par le Nutri-Score, et à consommer moins souvent d’autres qui sont étiquetés A mais qui se consomment en grande quantité.

Qu’est-ce qui peut être personnalisé dans l’information nutritionnelle ?

C. H. : Nous avons pris en compte le sexe et la tranche d’âge de la personne, les apports journaliers recommandés pour une personne de même profil et la portion du produit consommée en moyenne par une personne de même profil. Nous avons fait le choix de personnaliser les apports journaliers en tenant compte uniquement de l’âge et du sexe, en nous appuyant sur les recommandations de l’Anses. Nous pouvons inclure d’autres paramètres, mais nous avons voulu avec l’INC proposer dans un premier temps une approche personnalisée mais simple à configurer pour les consommateurs. Les portions moyennes consommées en France selon les profils sont extraites de l’étude Comportements et Consommations alimentaires en France (CCAF) 2019 du Credoc, qui mesure tous les trois ans les consommations alimentaires des Français, par groupes et marques de produits, selon le profil des consommateurs.

Avec le Nutri Perso, un produit est-il noté sur la base de la portion moyenne effectivement consommée par la population de consommateurs qui a le même profil démographique, calculée par le Crédoc, ou sur la base de la portion recommandable par les nutritionnistes ?

P. H. : Le produit est noté sur la base de la portion effectivement consommée par la population de consommateurs ayant le même profil démographique que l’utilisateur. On se rapproche ainsi de la consommation réelle et pas de ce qui est recommandé.

C. H. : C’est une moyenne segmentée. Son affichage a pour objectif de sensibiliser à la portion consommée et de faire réfléchir le consommateur sur sa pratique de consommation.

Exigences liées aux sources

Dès lors qu’il y a personnalisation pour le consommateur et profilage du produit, l’information prend une autre dimension sous son aspect sanitaire. L’engagement  est plus grand, les conséquences d’une erreur  plus lourdes. La fiabilité, la précision et l’actualisation des données concourant au profilage sont donc une exigence absolue, or toutes les sources, en particulier les applis qui se fondent sur des forums, ne sont pas en mesure d’offrir une telle garantie. Lesquelles retient Nutri Perso ?

C. H. : Le Nutri Perso a été élaboré pendant deux ans avec les ingénieurs de l’INC et les experts du Crédoc. L’INC a produit pour ce projet un état des lieux des repères nutritionnels spécifiques à l’âge et au sexe, sur la base des recommandations d’organismes reconnus nationalement et internationalement (Anses, EFSA, OMS). Ils se sont appuyés sur la méthode NRF (Nutrient Rich Food), un indice nutritionnel internationalement utilisé dans les études nutrition-santé, qui est personnalisable tant pour la portion que pour les repères nutritionnels. Le Crédoc a contribué à définir les portions alimentaires selon le profil des Français dont il a étudié la consommation journalière au gramme près, à partir de l’étude CCAF 2019.

Combien de produits figurent déjà dans le périmètre du Nutri Perso ?

C. H. : Le Nutri Perso ne concerne que les produits dont il est possible de calculer le Nutri-Score. MyLabel calcule le Nutri Perso sur 400 000 produits alimentaires. Quand il n’est pas possible de calculer un Nutri Perso pour le profil demandé, c’est le Nutri-Score qui est affiché par l’application.

Les mêmes types de sources d’informations sont-ils exploités dans les mêmes proportions pour tous les produits ?

C. H. : Oui.

Les données nutritionnelles sur les produits prises en compte par Nutri Perso ont-elles d’autres sources que le fabricant ?

C. H. : Nous avons trois sources d’information sur les produits : les fabricants, les distributeurs ou e-commerçants, et la base collaborative Open Food Facts. De fait, il n’existe plus aucun obstacle pour un fabricant à communiquer ses informations produits à une appli telle que MyLabel – directement, via GDSN, ou encore via Open Food Facts. Nous travaillons aussi avec des start-up de l’agroalimentaire qui ont un catalogue spécifique de produits très innovants sur le plan environnemental, éthique et nutritionnel, et que nous aidons de manière proactive à entrer dans notre base.

Qu’est-ce qui garantit la fiabilité ?

C. H. : Notre base de produits est ouverte aux fabricants, car nous souhaitons nous brancher à la source pour éviter les ressaisies et disposer d’une base à jour et comportant le moins d’erreurs possible. Nous maintenons parallèlement notre effort pour fiabiliser la base collaborative Open Food Facts ; elle est la seule aujourd’hui à nous permettre de couvrir un spectre de produits très large au-delà des grands acteurs agroalimentaires, et compatible avec le niveau d’information que notre base intègre pour les évaluations de produits.

Effet sensible sur les achats

Le Nutri Perso tient-il compte de la présence d’additifs et du degré de transformation ?

C. H. : MyLabel évalue et affiche la présence d’additifs et le degré de transformation des produits. Ces critères s’affichent dans l’application indépendamment du Nutri Perso, si l’utilisateur a choisi de les sélectionner. Ainsi un produit avec un Nutri Perso indiquant une qualité nutritionnelle bonne pour un profil peut être globalement mal noté dans MyLabel, s’il contient des additifs controversés ou si c’est un produit ultra-transformé, et que l’utilisateur a sélectionné ces critères.

Les applications nutritionnelles ont-elles changé le comportement alimentaire des consommateurs ?

P. H. : Les ventes de produits notés E ou D diminuent, alors que les produits notés A ou B sont en hausse, selon les données de ventes de Kantar ou d’IRI. Les étiquettes colorielles ont un vrai effet sur les achats. L’expérimentation grandeur nature réalisée en 2016 avait mis en évidence cet effet en magasin quand les produits portaient le Nutri-Score.

Et ont-elles conduit des entreprises à modifier la composition de leurs produits, ou les portions ?

P. H. : Les industriels ont en effet modifié leurs recettes pour améliorer leur Nutri-Score. Mais ce sont surtout sur les ingrédients, additifs et colorants que les modifications ont été les plus importantes, en raison de l’arrivée des applications notant ces ingrédients. Plusieurs industriels font de la sensibilisation à la réduction des portions et conditionnent les produits pour que les portions consommées soient plus petites. On observe des baisses de la taille des portions ingérées avec des produits pour lesquels des efforts ont été faits, comme les biscuits sucrés (réduction de 20 % entre 2003 et 2019 de la taille de la portion ingérée), les chocolats (– 28 % ), les compotes (– 24 % ), les jus et nectars (– 31 % ). En revanche, les tailles de portions augmentent pour les céréales de petit-déjeuner (+ 13 % ) et les produits bruts (légumes, viandes, poissons, pommes de terre, vins, charcuterie).

Nutri Perso est le volet nutritionnel de MyLabel, comme il y a un volet environnemental, et un volet social ; se combinent-ils ? Est-ce que la biodiversité peut « entrer » dans le Nutri Perso et pondérer les notes personnalisées associées aux produits ?

C. H. : La spécificité de MyLabel est de permettre d’évaluer un produit en distinguant les aspects environnement, social et santé, et non pas en les mélangeant dans un score global agrégé. Le Nutri Perso ne mélange pas les aspects nutritionnels avec d’autres caractéristiques. La biodiversité, par exemple, est évaluée de manière distincte, tout comme la juste rémunération des agriculteurs, le bien-être animal, l’absence d’additifs controversés ou le degré de transformation.

Nécessaire transparence des algorithmes

Combien de consommateurs utilisent les applications ? Cette utilisation varie-t-elle avec l’âge ou autres facteurs ?

P. H. : En 2021, 23 % des consommateurs ont utilisé des applications de type MyLabel : leur profil est jeune, urbain et très diplômé. Les utilisateurs de MyLabel sont moins diplômés que ceux de ces applications en général. L’utilisation n’augmente pas depuis trois ans, mais avec la multiplication par deux des ventes en ligne les services équivalents installés sur les sites internet permettent aux consommateurs d’utiliser les mêmes notations de produits. La digitalisation contribue à une personnalisation de plus en plus poussée des achats.

Nutri Perso a-t-il vocation à s’exporter ? Les profils nutritionnels définis en France par le Crédoc appelés à être reconsidérés selon les pays ?

C. H. : MyLabel projette de s’exporter hors de France, nous y travaillons au travers d’un consortium européen.

Éco-Score, Planet Score, Rémunérascore… : les consommateurs sont-ils menacés de cacophonie ? La synthèse personnalisée de MyLabel ne présente-t-elle pas le risque de cumuler les faiblesses de chacune des approches thématiques ?

P. H. : La personnalisation limite la cacophonie, puisque vous choisissez des critères qui sont importants pour vous et ne voyez apparaître que les produits qui correspondent à vos critères. Les limites viendront de la transparence des algorithmes et de la confiance que les consommateurs y accorderont.

Demain, un Nutri Perso pour les animaux de compagnie ?

C. H. : Pourquoi pas ? Dans notre écosystème, nous côtoyons une autre appli qui décrypte l’alimentation des chiens et chats. Nous allons leur en parler.

Le monde de l’information conso digitale est-il en voie d’être apprivoisé par tous les consommateurs, accessible à tous ? Et désiré par tous ?

P. H. : La digitalisation a fait un bond phénoménal avec la pandémie, puisque 10 % des consommateurs qui n’utilisaient pas l’e-commerce s’y sont mis en quelques mois. Pour autant, l’effet générationnel est lent, l’usage de la personnalisation se diffusera lentement auprès de ceux qui utiliseront les applications et les sites internet. On est loin du 100 % , avec seulement 23 % d’usagers des applications.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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