Entretiens

Industries de PGC et acteurs locaux

Giennois, le goût des marques familières

16/10/2025

Le pays de la faïence accueille nombre d’entreprises importantes, dont Essity et Pierre Fabre dans les PGC. La Communauté de communes agit avec elles en partenaire attentif aux opportunités d’en attirer d’autres. Entretien avec Francis Cammal, président de la Communauté des communes giennoises, maire de Gien et vice-président du Conseil départemental du Loiret.

Comment votre territoire promeut-il son attractivité sur le plan économique ?

Francis Cammal : Nous avons la chance d’avoir un tissu industriel dense et divers. Des fleurons comme Essity, Otis, Pierre Fabre ou Shiseido font la renommée du Giennois. Ce sont de grandes entreprises qui représentent des centaines d’emplois, qui innovent et qui sont bien implantées depuis longtemps. Leur présence contribue amplement à l’attractivité du territoire. À cela s’ajoute la proximité de deux centrales nucléaires, Dampierre-en-Burly et Belleville-sur-Loire, qui emploient de nombreux salariés. Cette combinaison crée une dynamique industrielle forte, avec des entreprises impliquées dans la vie locale et soucieuses de pérenniser leurs activités.

Quels sont vos atouts et vos freins ?

F. C. : Notre atout majeur est notre proximité avec Paris. L’autoroute A77 est joignable à cinq kilomètres et la liaison ferroviaire fonctionne bien, ce qui rend le territoire accessible. Ce n’est pas un détail : pour une entreprise étrangère, se trouver à une heure et demie de la capitale est rassurant. Un autre atout est le travail mené depuis plusieurs décennies avec des politiques volontaristes pour attirer, accueillir et fidéliser les entreprises.

Côté freins, il faut reconnaître que dans l’est du Loiret, nous nous trouvons un peu à l’écart des grands axes. En dehors de Paris, nos liaisons vers Orléans, Bourges ou Auxerre sont médiocres, seulement routières. Cela limite la mobilité et peut compliquer la vie des entreprises. Et puis nous ne sommes pas une métropole : Gien, c’est 14 000 habitants, la communauté 26 000, le bassin environ 50 000. Cela reste modeste. Nous n’avons pas l’offre culturelle, universitaire, commerciale ou récréative d’une grande ville. Pour des cadres qui hésitent à s’installer, cela peut être un frein. Certains ingénieurs ou managers acceptent de travailler à Gien mais préfèrent résider à Orléans, voire à Paris. Ils ne viennent que quelques jours sur place, souvent en combinant télétravail et hébergements temporaires. C’est une limite réelle.

Des entreprises qui savent se réinventer

Qu’attendez-vous de nouvelles implantations industrielles ?

F. C. : Nous sommes attentifs à plusieurs points. D’abord, préserver la bonne santé des entreprises déjà présentes. Ensuite, éviter des concurrences frontales. Une nouvelle implantation doit apporter de la complémentarité et non fragiliser l’existant. Ce que nous voulons, ce sont des projets créateurs d’emplois, innovants, qui puissent aussi servir de sous-traitants ou de partenaires aux grands groupes déjà installés. L’implantation doit avoir une vraie valeur ajoutée pour le territoire.

Pouvez-vous citer des réussites récentes et des échecs ?

F. C. : Des échecs, franchement, nous n’en avons pas. Les seules difficultés viennent de la réglementation ou de la conjoncture. Il arrive qu’un projet ne se fasse pas parce que le plan local d’urbanisme ne le permet pas, ou parce que le principe du « zéro artificialisation nette » bloque une zone. Mais ce ne sont pas des échecs économiques, plutôt des contraintes administratives. En revanche, nous avons de belles réussites. Otis a renforcé sa recherche et développement sur place. Pierre Fabre projette d’étendre son site. Essity a investi massivement ces dernières années pour moderniser son outil. Shiseido a connu une période difficile après le départ de grandes marques, mais l’entreprise a su rebondir en trouvant de nouveaux marchés. Nos entreprises savent se réinventer. Et puis il y a le Mepag, Mouvement des entreprises du pays giennois. Il regroupe 80 à 90 % des industriels locaux, ce qui est énorme. Cette association anime le réseau, favorise la coopération et sert d’interlocuteur collectif. C’est une vraie force, pas si fréquente ailleurs. Grâce à elle, les entreprises travaillent ensemble, et nous, collectivités, avons un partenaire unique avec qui dialoguer.

Internationales et vitales pour le territoire

Quels dispositifs mettez-vous en place pour soutenir les entreprises ?

F. C. : Le premier levier, c’est l’écoute. Nous entretenons des relations de proximité avec les dirigeants. Après le Covid, nous avons déployé des aides financières, mais aussi d’autres formes de soutien : mise à disposition de locaux, accompagnement administratif, ou parfois simplement du temps d’échange. Beaucoup d’entrepreneurs ont apprécié cette disponibilité. Nous intervenons aussi comme courroie de transmission. Lorsqu’une entreprise a un projet, nous facilitons le contact avec la Région, le Département, les chambres consulaires, mais aussi les services de l’État : préfecture, DDT (Direction départementale du travail), Dreal (Direction régionale de l​‌’environnement, de l​‌’aménagement et du logement). Si un plan d’urbanisme doit être modifié, nous le faisons. Si un dossier bloque, nous montons au créneau pour trouver une solution. Un autre point essentiel est la relation avec nos partenaires étrangers. Essity est suédois, Otis américain, Shiseido japonais. Nous devons rassurer ces groupes, leur dire que, malgré la complexité française, ils peuvent compter sur nous pour accélérer leurs démarches. Sans ce rôle de facilitateur, il y aurait un risque de découragement.

Comment les habitants perçoivent-ils cette forte présence d’entreprises internationales ?

F. C. : Plutôt bien. Sur 14 000 habitants à Gien, on compte 8 500 emplois industriels directs. Beaucoup de Giennois travaillent ou ont travaillé dans ces entreprises, ou ont un parent qui y est salarié. Les habitants savent donc qu’elles sont vitales pour le territoire. Ils comprennent que nous devons tout faire pour les garder et les séduire. Ma plus grande crainte, c’est qu’un jour un dirigeant, fatigué par la lourdeur administrative française, décide de délocaliser. Ce serait une catastrophe. Mon rôle est de prévenir ce risque en rassurant et en montrant que nous faisons tout pour offrir un cadre favorable.

Y a-t-il des territoires concurrents que vous identifiez ?

F. C. : Pas particulièrement. Nous n’avons pas de concurrent direct qui nous menacerait. Les entreprises présentes ici investissent beaucoup, et ce n’est pas pour partir du jour au lendemain. Essity, Otis et Pierre Fabre ont injecté des dizaines de millions d’euros sur leurs sites giennois. C’est un signe de confiance. Mais nous restons vigilants, car rien n’est jamais acquis.

En phase contre la suradministration

Qu’attendez-vous de l’État ou de la Région ?

F. C. : De la simplification. La France est suradministrée. Pour un projet, il faut passer par une multitude de commissions et de bureaux. Nos interlocuteurs étrangers le disent clairement : en Allemagne, un projet identique prend deux à trois fois moins de temps. Tant que nous n’aurons pas compris qu’il faut assouplir et accélérer les procédures, nous prendrons le risque de voir des entreprises renoncer à investir chez nous.

Comment s’organise le suivi économique à votre échelle ?

F. C. : La communauté de communes dispose d’un service développement économique, avec une chargée de mission en lien permanent avec les entreprises. Elle est là pour suivre leurs projets, répondre à leurs besoins et préparer l’accueil de nouvelles implantations. Nous travaillons aussi avec les intercommunalités voisines, La Puisaye et le Val de Sully. Ensemble, nous mutualisons nos efforts pour le développement économique et industriel. Nous sommes aussi engagés dans le dispositif « Territoires d’industrie »¹, qui couvre tout l’est du département. Cette coopération élargie est très utile pour coordonner nos actions et réfléchir à l’échelle d’un bassin plus vaste.

Comment mesurez-vous les résultats de votre action ?

F. C. : D’abord, par la confiance des entreprises. Quand elles investissent et se projettent, c’est un signe fort. Ensuite, par des indicateurs : le taux de chômage est aux alentours de 7 %, ce qui est relativement bas par rapport à d’autres territoires. Ce n’est pas parfait, mais encourageant. Autre indicateur : l’offre de formation. Nous avons sur place des structures qui proposent des cursus adaptés aux besoins industriels, avec de l’alternance et des diplômes en lien direct avec les métiers. Cela attire des jeunes et rassure les employeurs. Enfin, l’existence du Mepag, fédérant presque toutes les entreprises industrielles, est une garantie : elles ne sont pas isolées, elles se sentent accompagnées et intégrées à une dynamique collective.

“Fierté locale”

Plus particulièrement, quelle est votre relation avec Essity ?

F. C. : C’est un partenaire clé. Essity est une entreprise historique, connue de tous pour ses produits du quotidien : papier toilette, essuie-tout, mouchoirs, etc., avec des marques familières (Lotus, Nana, Demak Up…). Cela parle immédiatement aux habitants. Essity a beaucoup investi dans ses outils de production et dans ses bureaux. Elle a mis la sécurité au cœur de son organisation, plus que beaucoup d’autres entreprises. Elle veille au bien-être de ses salariés. Elle a une vraie âme, une culture d’entreprise qui la distingue, même si elle appartient à un grand groupe international. Je visite régulièrement le site, et j’y emmène des personnalités : préfet, élus, responsables institutionnels. C’est important de montrer la qualité de cette entreprise. Essity est une fierté locale, et nous avons tout intérêt à la valoriser.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

F. C. : Nous avons encore une vingtaine d’hectares de foncier disponibles. Mais les entreprises veulent aujourd’hui du clé en main» : un terrain immédiatement exploitable. Or beaucoup de parcelles sont contraintes par des fouilles archéologiques, des zones humides ou des obligations environnementales. Lever ces freins suppose des investissements lourds en amont, que la collectivité devra porter. Si nous voulons rester attractifs, il faudra franchir ce pas. Nous travaillons aussi sur l’attractivité en général. Nous avons soutenu la création d’un cinéma moderne, nous rénovons le stade nautique – l’un des plus grands équipements aquatiques du département – et nous lançons un hôtel de l’alternance pour accueillir les jeunes en formation et créer des lieux de vie. L’idée est de rendre le territoire plus attractif pour les salariés, les familles et les étudiants. Enfin, notre patrimoine est aussi un atout. La faïencerie de Gien, qui a fêté ses deux cents ans, a récemment été reprise par Pascal Cagni, président de Business France, et son fonds C4 Industries. Nous comptons sur lui pour dynamiser encore ce fleuron, renforcer sa visibilité et contribuer à l’image positive du territoire.

La relation entreprise-collectivités vue par Essity

Entretien avec Arletta Bialek, directrice des Affaires Publiques d’Essity France.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la collectivité territoriale dans laquelle vous êtes implantée ?

Arletta Bialek : Essity attend de la collectivité territoriale un partenariat solide et durable, fondé sur la coopération, l’écoute et la réactivité. En tant qu’acteur industriel majeur du Giennois, nous avons besoin d’un environnement propice au développement économique et à la transition écologique. Le soutien de la collectivité dans les domaines des infrastructures et de la formation est essentiel pour renforcer l’attractivité du site et favoriser l’emploi local (550 employés Essity sur le site de Gien).

Avez-vous déjà mis en place des actions ou des partenariats avec une collectivité ?

A. B. : Oui. Essity entretient une coopération exemplaire avec la mairie de Gien. Ce partenariat se traduit par un soutien administratif constant, une facilitation du recrutement international, notamment d’ingénieurs venus du Canada, du Brésil… ainsi qu’un accompagnement dans des projets structurants pour le territoire. Un exemple marquant est l’installation d’un entrepôt automatisé, fruit d’une coordination efficace entre Essity et les acteurs locaux, permettant une gestion logistique optimisée et une réduction significative de l’empreinte carbone du site.

Avez-vous rencontrés des difficultés dans vos échanges avec les collectivités ?

A. B. : Les échanges sont positifs, mais certaines complexités réglementaires françaises peuvent freiner la mise en œuvre rapide de projets industriels. Une compréhension de nos enjeux dans les questions d’approvisionnement, de procédés et d’énergie (coûts d’électricité notamment), de compétences, d’innovations, d’investissements, est cruciale, pour que nous puissions continuer à investir sereinement. Un renforcement de la collaboration de proximité avec la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et la Dreal, notamment sur les enjeux de décarbonation et de sobriété hydrique, est primordial. De plus, l’amélioration continue des infrastructures routières demeure un enjeu clé pour garantir la fluidité logistique et la sécurité des flux de marchandises et de personnel dans le Loiret.

Quels types de partenariats ou de projets souhaiteriez-vous développer à l’avenir avec les collectivités locales ?

A. B. : Essity souhaite poursuivre et renforcer ses partenariats public-privé autour de plusieurs priorités. En premier lieu, l’innovation industrielle et environnementale, pour poursuivre la modernisation du site et réduire notre empreinte carbone – ce que nous faisons déjà avec notre unité de valorisation énergétique (UVE) en partenariat avec l’opérateur Paprec. Cela équivaut à une réduction d​‌’émissions directes du site d​‌’environ 11000 tonnes de CO2 par an (facteur d’émission à 181 kg/MWh). Ensuite, nous souhaitons maintenir des relations de proximités avec la Dreets, la Deal, la communauté des communes ainsi que la Préfecture. Enfin, notre engagement social continuera de  soutenir des projets locaux favorisant la cohésion sociale et l’emploi durablepour l’attractivité du territoire. En 2026, année des soixante ans de la marque Lotus, dont les produits sont fabriqués à Gien, Essity entend continuer d’être un acteur engagé du développement économique et social de Gien et de son territoire.

1. Cf. le site de la DGE : https://www.entreprises.gouv.fr/priorites-et-actions/proximite-et-territoires/reindustrialiser-nos-territoires/territoires.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.