Vie des marques

Intrapreneuriat Danone, comment l’innovation infuse

15/12/2022

Comment accélérer la transition écologique, le passage à l’économie circulaire, sans lourdes procédures ? Par la libre initiative en interne, comme s’y essaie Danone pour les eaux, les produits laitiers et la nutrition spécialisée. Entretien avec Clara Mottier, « intrapreneur senior économie circulaire », Danone.

En février 2022, après cinq ans chez Danone, vous devenez « intrapreneuse ». Quelles raisons ont motivé votre choix professionnel ? Que vous apporte l’intrapreneuriat ?

Clara Mottier : Je demeure salariée avec un intitulé de poste plutôt nouveau en entreprise. J’étais chef de projet économie circulaire chez Blédina. Depuis février 2022 je m’occupe de toutes les catégories, les eaux, les produits laitiers, la nutrition spécialisée. L’intrapreneuriat me permet d’agir comme une start-up qui teste rapidement les idées, pour savoir si on peut les monter « à l’échelle ». Nous allons plus vite dans les procédures d’innovation, nous défrichons plus librement des projets qui n’ont pas de modèles dans l’économie circulaire. Nous évitons les étapes de validation traditionnelles et leurs instances, marketing, finance, investissement. Nous allons ainsi plus rapidement. Nous avons de petits budgets, testons à petite échelle sur le terrain les réactions des consommateurs, pour ensuite modéliser et comprendre comment rendre viable le projet.

La transition écologique nécessite-elle ce type d’organisation ? Tous les projets sont-ils éligibles à l’intrapreneuriat ?

C. M. : L’intrapreneuriat peut s’appliquer à toute transition, écologique ou numérique, digitale. Là où il y a blocage, l’intrapreneuriat est possible. Souhaiter avoir les mains plus libres pour innover n’est pas le propre d’un domaine. Cela permet une écoute différente de la part des décisionnaires en entreprise. Les procédures actuelles sont souvent lourdes et ne permettent pas toujours d’agir vite. L’intrapreneur part d’une feuille blanche, crée son propre écosystème avec des personnes en interne qui ont des expériences multiples et avec lesquelles il crée le puzzle. Il est également en contact avec des personnes externes, des ONG, des institutions comme l’Ademe, Citeo ou des concurrents, pour construire et créer avec tous la consommation de demain. Il faut savoir s’ouvrir à l’externe si l’on veut mener à bien un projet. J’ai participé à des conférences sur le thème réemploi, et depuis beaucoup de producteurs m’appellent pour me demander comment j’ai agi pour lever tel frein, actionner tel levier. D’autant plus dans le domaine de l’économie circulaire, nous devons mutualiser pour aller plus vite dans la transition écologique.

Loin des routines de l’innovation marketing

Comment est constituée votre équipe ?

C. M. : Deux personnes m’accompagnent et nous partageons les sujets et missions. Après avoir établi le besoin, là où nous manquons de recul, nous lançons des pilotes. Pour cela nous créons comme une mini-entreprise dans un temps très court – autour de huit mois –, nous allons chercher les compétences de chacun dans l’entreprise pour réussir à fournir dans quelques magasins une gamme nouvelle. Je me consacre également à la stratégie et à la consigne pour le réemploi, Ma manager est responsable du développement durable, je suis néanmoins en autonomie assez forte tout en sollicitant les compétences de chacun afin d’ouvrir toutes les portes.

Qu’avez-vous découvert en termes de management des équipes ?

C. M. : Je sais quel caractère est nécessaire pour rejoindre une équipe d’intrapreneuriat, ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir le faire. Il faut accepter d’être dans une totale incertitude, de partir d’une page blanche sans peur, faire du lobbying en interne pour chercher les compétences afin de constituer les équipes pour tel ou tel projet (vrac, réemploi…). Il faut être couteau suisse. Venant du marketing et du commerce, j’ai une vision large. Cela permet de comprendre comment dans un projet classique les services s’imbriquent et de s’adapter en fonction des personnes, d’avoir le vocabulaire approprié. Il faut être un peu caméléon. On fait des tests pour apprendre et on accepte le risque d’imperfection au lancement. Nous sommes dans un état d’amélioration continue, d’apprentissages pour demain.

Le « ça ne marchera jamais » n’existe pas dans votre équipe ?

C. M. : Non effectivement, nous débloquons des situations jugées parfois à jamais figées, nous essayons de trouver des solutions en contournant les obstacles…

Quels sont vos « droits et devoirs » chez Danone ?

C. M. : J’ai des objectifs comme tout salarié, notamment liés à la mise sur le marché des pilotes tests que nous avons identifiés comme nécessaires à nos apprentissages pour demain. Je dois créer l’écosystème qui va permettre d’avancer et de discuter avec toutes les parties prenantes, politiques, fournisseurs, distributeurs, pour agir en cohérence, particulièrement sur le plan réglementaire. Mon objectif n’est pas de vendre X produits ou de faire du volume mais de de savoir si le projet va être accepté par le consommateur et comment je crée industriellement la meilleure offre. On est loin des contraintes initiales de l’innovation marketing : rotation, rentabilité, volume… Même si, après, il faut modéliser le potentiel.

Quels conseils donneriez-vous à des candidats à l’intrapreneuriat ?

C. M. : Tout le monde ne peut pas être comptable ou commercial… L’intrapreneuriat demande une vision holistique de l’entreprise, de bien comprendre les interactions entre les services et une capacité à organiser. Avant de lancer un pilote, on est confronté tous les jours à des problématiques, à des résolutions de problèmes. Il faut tous les jours garder espoir et accepter des frustrations, des déceptions provisoires. C’est par l’apprentissage qu’on apprend et qu’on se dépasse. L’intrapreneuriat n’est pas l’autoroute, c’est plein de chemins tortueux. Il faut porter ses convictions, vouloir le risque, supporter l’autonomie, être responsable. Être agile, être réactif, rapide, audacieux...

Coalition pour l’innovation

Quels sont les projets que vous avez développés dans ce cadre ?

C. M. : Le premier concerne la consigne pour réemploi sur une gamme de dix petits pots Blédina. Le deuxième à avoir vu le jour en 2022 dans l’équipe est la fontaine Evian « comme à la source », la première offre vrac d’eau minérale naturelle dans le circuit des hôtels, cafés et restaurants. En novembre dernier nous avons lancé dans trois magasins le test d’une nouvelle gamme consignée pour réemploi de bouteilles Évian et Badoit, avec des casiers proposés aux consommateurs pour les stocker chez eux avant de les rapporter. De plus, une coalition a été créée avec Bel, Lesieur et Famille Michaud pour industriellement comprendre comment apporter la solution du vrac sur des produits « visqueux » : yaourt, miel, fromage à tartiner, huile…

Comment travaillez-vous avec les différents départements (R&D, commercial, marketing, usines, force de vente, finance…) ?

C. M. : Nous créons à chaque nouveau projet une équipe réunissant des compétences issues du groupe. Chaque fois une équipe projet pour chaque test & learn qui va être lancé.

L’intrapreneuriat est-il un moyen d’attirer, ou de retenir, les plus jeunes talents ?

C. M. : Selon moi, il est difficile de s’y engager directement en sortie d’école. Il faut faire ses classes dans l’entreprise, passer par quelques services pour comprendre les interactions, monter en compétence, exercer différents métiers. J’ai pour ma part travaillé dans deux services, marketing et commerce, avant de me lancer dans l’aventure. En revanche, sur la partie opérationnelle nous travaillons avec des stagiaires, c’est possible, de venir se frotter à l’entrepreneuriat assez jeune !

À qui devez-vous rendre compte de vos projets ? Avez-vous des indicateurs de performance spécifiques ?

C. M. : Premier indicateur, celui d’avoir sorti le projet pilote ! Les autres indicateurs sont aussi bien du quali ou du quanti, pour suivre la liste des apprentissages nécessaires que nous avons recensés avant le démarrage. Puis nous travaillons la modélisation du modèle, afin de trouver sa viabilité économique et écologique. Nous reportons nous avancées à différentes équipes de l’entreprise, pour pouvoir ensuite poser la stratégie de lancement des projets.

Quels effets a l’entrepreneuriat sur l’organisation et l’innovation de Danone ?

C. M. : Nos expérimentations permettent de construire des recommandations poussées pour la montée à l’échelle de différents modèles de réemploi dans nos catégories (vrac, recharge, consigne pour réemploi…). Nous pouvons ensuite remettre au marketing le développement de gamme, dans un processus classique. Ce nouvel état d’esprit infuse dans l’entreprise, de plus en plus de sollicitations viennent du marketing ou du commercial pour tester des produits. Nous sommes également sollicités par d’autres industriels désireux de comprendre notre façon de travailler, ou de connaître les résultats de tel ou tel pilote.

Si Danone vous avait refusé l’intrapreneuriat, seriez-vous restée dans le groupe ?

C. M. : Je serais restée, mais c’est dans l’intrapreneuriat que je me sens la plus utile pour aider à transformer les modes de consommations et à créer les modèles les plus viables pour le futur.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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