IA
L’Oréal, services ciblés de la beauté
23/05/2025
Nous entrons dans l’ère de l’ultra-personnalisation, estime Béatrice Dautzenberg, Global Director Beauty Tech Services du Groupe L’Oréal¹, et le moyen d’atteindre ce Graal du marketing est l’intelligence artificielle. Le numéro un de la cosmétique prépare sa transformation digitale depuis 2010, année où est entré à son comex son Chief Digital Officer, et année du choix stratégique de se concentrer sur trois piliers majeurs dans la décennie qui s’ouvrait : l’e-commerce (le groupe réalise aujourd’hui 28 % de son chiffre d’affaires en ligne) ; les médias (le quatrième annonceur mondial visant une publicité plus ciblée) ; les réseaux sociaux (une grosse partie des budgets publicitaires étant investis avec les créateurs et les influenceurs).
L’achat en 2018 de la jeune pousse canadienne ModiFace, installée à Toronto, a été « un moment pivot », explique Béatrice Dautzenberg, qui a marqué le lancement du programme “Beauty Tech” du groupe. ModiFace regroupe des chercheurs en intelligence artificielle générative, en réalité augmentée, en science par ordinateur et en science de la couleur. Ils développent des services qui accompagnent les consommateurs. L’accompagnement se fait de manière « ultra-personnalisée ». « Aujourd’hui, souligne Béatrice Dautzenberg, on peut enfin avoir un conseiller chez soi grâce à la beauty tech, et une expérience beauté personnalisée, inclusive et responsable. »
Données séculaires
Comment L’Oréal se singularise-t-il dans cette révolution industrielle, sociétale, technologique ? « Nous mettons dans nos systèmes plus de cent quinze ans de connaissances de la beauté, de connaissances des consommateurs, explique Béatrice Dautzenberg. Nous disposons de beaucoup de données, qui constituent un avantage concurrentiel pour nos marques. » L’Oréal dispose de la plus grande base de données beauté du monde, riche de 16 000 téraoctets², très qualifiée pour les diagnostics de peau grâce à 150 000 annotations de dermatologues : « Tout ce qui vient des experts est très important. »
Cas concret : les services de diagnostic de la peau. L’Oréal a signé en 2021 un partenariat avec la société BreezoMeter, filiale de Google Maps Platform, spécialiste de l’environnement climatique : elle mesure l’indice UV dans toutes les villes du monde, la qualité de l’air et les niveaux de pollution. « En enrichissant nos diagnostics avec les données de Google Maps Platform, se félicite Béatrice Dautzenberg, nous pouvons fournir un diagnostic de peau personnalisé, selon la ville dans laquelle vit la personne, grâce à nos connaissances sur l’exposome³ et la peau. »
Labo sur puce et solution handicap
Toujours dans le domaine du soin de la peau, L’Oréal Cell BioPrint, appareil présenté au Consumer Electronic Show 2025 de Las Vegas, est un laboratoire miniature intégré, ou « laboratoire sur puce ». Il analyse les biomarqueurs protéiques de la peau pour calculer l’âge biologique de celle-ci, anticiper les problèmes cutanés et l’apparition des signes du vieillissement tels que la sécheresse ou l’hyperpigmentation, et analyser la réactivité aux ingrédients. L’appareil offre des solutions qui visent à permettre à l’utilisateur de prendre le contrôle de sa « trajectoire beauté ». Il est développé en partenariat avec une startup sud-coréenne, NanoEnTek, spécialiste du diagnostic biochimique. Un ruban adhésif appliqué sur la joue prélève un échantillon de protéines, qui est ensuite analysé par Cell BioPrint.
Autre cas d’utilisation de l’IA, Hapta de Lancôme, premier applicateur de maquillage portable et informatisé, doté d’un stabilisateur pour les personnes à mobilité réduite. Il a été conçu pour les personnes vivant avec une dextérité limitée, souffrant d’arthrite, atteintes de la maladie de Huntington ou confrontées à des problèmes consécutifs à un accident vasculaire cérébral.
Pour développer ses services “Beauty Tech”, L’Oréal s’est interrogé sur les besoins des consommateurs : « 70 % se sentent perdus devant le large choix de produits de beauté », remarque Béatrice Dautzenberg. En 2024, le groupe a recensé plus de cent dix millions d’utilisations de ces services, qui reposent sur quatre principes : guider, diagnostiquer, prédire, accompagner, que détaille Béatrice Dautzenberg :
- Guider, c’est donner la possibilité d’essayer avant d’acheter : « Nous proposons des essayages virtuels, pour aider à choisir la teinte idéale d’un rouge à lèvres ou d’un fond de teint directement sur les pages produits des sites d’ e-commerce. »
- Diagnostiquer, c’est répondre à la consommatrice qui se demande de quoi sa peau ou ses cheveux ont besoin. « Nous proposons des services de diagnostic personnalisé de la peau ou du cuir cheveu, disponible en points de vente et en ligne. » Un service qui permet aux marques concernées de mieux connaître leurs consommatrices, et de communiquer avec elles de façon plus personnalisée.
- Prédire, c’est « aider les gens à prendre le contrôle de leur trajectoire beauté ». L’Oréal a créé une cellule consacrée à la science de la longévité en nouant des partenariats avec de grands acteurs de la longévité au niveau mondial. « Nous entrons dans une ère où les gens veulent vivre plus longtemps, mieux, et sont prêts à investir. »
- Accompagner, c’est créer « sur le temps long une relation privilégiée avec les consommateurs ». À cette fin L’Oréal propose des services en magasin qui ajoutent à l’expertise d’un coiffeur, d’un pharmacien ou d’un conseiller beauté.
Assistant beauté mixte
Les produits de la division grand public de L’Oréal sont distribués en self-service, sans conseiller. Toujours dans l’esprit de « guider » des consommatrices souvent perdues, de leur amener du service personnalisé, L’Oréal a lancé “Beauty Genius” : « C’est un assistant beauté personnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, alimenté par l’IA générative, destiné aussi bien aux hommes qu’aux femmes, explique Béatrice Dautzenberg. Il compte 750 produits L’Oréal Paris et les partenaires distributeurs sont intégrés. »
Le consommateur peut lui poser toutes les questions qu’il veut concernant le diagnostic de la peau, la routine beauté, l’essayage virtuel. Les réponses sur mesure, certifiées par des scientifiques, sont données avec le ton de voix de L’Oréal Paris. Des tutoriels vidéo sont également proposés. L’assistant fournit des recommandations de produits. Lancé il y a un an et demi avec cent utilisateurs en interne, Beauty Genius est disponible depuis octobre 2024 sur le site L’Oréal des États-Unis : « Nous y comptabilisons plus de trois cent mille conversations », se félicite Béatrice Dautzenberg. Ce service arrivera bientôt en France.
Précautions d’usage
Reste que quelques précautions ne sont pas superflues dans l’usage de l’IA. « C’est compliqué de mettre un produit d’IA générative dans les mains de consommateurs, observe Béatrice Dautzenberg, car il s’agit d’un modèle de probabilité donc pas sûr à cent pour cent. » En outre il faut « se méfier des hackers qui font dire n’importe quoi au modèle ». Ce qui rend nécessaires des garde-fous dont la mise en place demandent beaucoup de temps. « L’objectif, rappelle Béatrice Dautzenberg, est d’apporter une valeur ajoutée au consommateur, lui donner l’occasion d’une belle conversation et des recommandations, tout en protégeant les marques. Sans oublier l’empreinte carbone, par une approche frugale de l’IA. »
Techniquement, elle recommande le choix du LLM (Large Language Model) agnostique, et une architecture multi-agent LLM qu’on peut changer selon les tâches : « Ce n’est pas la même chose, que je demande une recommandation pour un produit ou que je veuille engager une conversation. » Et l’essentiel est d’avoir « toujours un humain qui contrôle afin de ne pas laisser les IA toutes seules » : L’Oréal travaille sur des données biologiques avec la même conviction : « On fait de la technologie pour les humains, les consommateurs et les marques ; on ne fait pas de la technologie pour la technologie. »