Vie des marques

Beauté X.0

28/02/2023

L’innovation technologique et l’intelligence artificielle entrent tant dans la conception que dans la commercialisation et dans l’usage des produits du quotidien. Illustration avec le numéro un des cosmétiques, grand mobilisateur de startups. Entretien avec Adrien Seugé, chief marketing & digital officer, L’Oréal France.

Quelles nouvelles expériences la « tech » peut apporter aux consommateurs ? A quelles attentes permet-elle de répondre ?

Adrien Seugé : En 2018, avec l’intégration de Modiface, le groupe a été précurseur. Aujourd’hui plus de dix millions de consultations beauté ont été réalisées en ligne rien qu’en 2022. Nous voulons être une beauty tech company au service de nos consommateurs. Notre ambition peut se résumer ainsi : augmenter la science traditionnelle par des techniques de pointe et à grande échelle, afin d’inventer des façons de produire plus vertueuses et d’offrir des expériences de beauté inégalées. L’enjeu est d’aller vers plus de proximité, de personnalisation et d’inclusion. Autour de notre raison d’être, « Créer la beauté qui fait avancer le monde », l’innovation par la tech est un puissant levier. Ces innovations sont déjà présentes, avec par exemple le Virtual Try On, qui permet aux consommateurs d’essayer du maquillage ou des colorations directement depuis un smartphone. Cela répond à une envie de personnalisation et de sur-mesure des consommateurs. Nous l’avons développé avec la technologie Modiface pour plusieurs de nos marques comme L’Oréal Paris avec l’application Match my Shade, ou encore E-youth Finder pour Lancôme, qui permet d’analyser en profondeur la peau et de définir une routine adaptée et personnalisée grâce à l’intelligence artificielle. Pour toutes les innovations de ce type, on observe un très bon taux de conversion. En d’autres termes, les consommateurs retrouvent l’aspect sensoriel de la beauté, et font un choix d’achat éclairé.

En janvier dernier, nous avons été primés au Consumer Electronic Show de Las Vegas pour deux innovations. La première est L​‌’Oréal Brow Magic, le premier applicateur intelligent de maquillage des sourcils. Avec Modiface, il scanne le visage pour des sourcils parfaits et adaptés aux caractéristiques de ce visage et de la peau. La seconde est Hapta de Lancôme, le premier applicateur de maquillage automatisé portatif pour les personnes souffrant d’une mobilité réduite du bras ou de la main. Grâce à des commandes de mouvement intelligentes, l​‌’utilisateur peut bénéficier d​‌’une application précise, adaptée à sa mobilité.

Pertinence et efficacité marketing

Comment L’Oréal s’appuie-t-il les données pour la personnalisation de ses offres ?

A. S. : Être à l’écoute des consommateurs et de leurs aspirations est l’une des plus grandes réussites de L’Oréal depuis cent quinze ans. L’Oréal a toujours mis le consommateur et ses attentes au cœur de son développement. Dans cette quête, la donnée est aujourd’hui l’ingrédient clé et l’intelligence artificielle le meilleur outil. C’est pour cela que les équipes « data » de L’Oréal France ont créé le « scoring d’appétence ». Cet outil permet d’attribuer un score d’appétence à chacun de nos consommateurs, avec l’objectif d’activer ensuite pour chacun la bonne communication sur le bon produit. *

Concrètement, cela permet d’accroître considérablement l’impact de nos actions. Le scoring d’appétence augmente l’efficacité de nos actions CRM, avec de meilleurs taux d’ouverture, de clics, etc. Dans le même temps, il contribue à augmenter l‘efficacité des campagnes. Nous l’avons vu lors d’une campagne récente menée avec la marque NYX Professional Make-up, où nous avons enregistré des hausses de 20 voire 60 % de nos performances trois jours après une opération ciblée.

Quelle est la dimension et le rôle des ventes en ligne pour L’Oréal dans le monde et en France ?

A. S. : Aujourd’hui, 28 % du chiffre d’affaires de L’Oréal au niveau mondial est porté par les ventes en ligne. Elles sont pleinement intégrées à nos stratégies de développement depuis de nombreuses années. Ce positionnement précoce nous permet d’être aujourd’hui le premier acteur de la beauté en e-commerce. En France, nous avons une capacité d’impact et de visibilité importante, et la chance d’avoir toutes les divisions du groupe (« Produits grand public », « Produits professionnels », « Beauté dermatologique » et « Luxe ») dans ces circuits. Concrètement, le consommateur peut trouver en ligne tout l’étendue de la beauté. Si les ventes en ligne grandissent rapidement et continueront certainement de le faire, nous déployons une vraie approche où nos ventes en ligne et en magasins se complètent au service du consommateur.

En France, nous gagnons des parts de marché depuis deux ans et entendons bien conserver ce leadership en innovant dans l’expérience du consommateur en ligne (essais de maquillage grâce à la réalité augmentée, conseils personnalisés grâce à l’intelligence artificielle...). Plusieurs études le montrent : l’achat en ligne n’est pas forcément express. Pour lui les consommateurs, c’est avant tout l’accès à un large choix  de gammes, de marques et de produits avec la possibilité de les comparer facilement, d’obtenir des conseils et de se renseigner sur l’expérience d’autres consommateurs. Les systèmes de “rate and reviews” sont très utiles pour récolter des retours sur les attentes des consommateurs et démontrer la qualité de nos produits. Notre stratégie en ligne est bien de recruter de nouveaux consommateurs grâce à de nouvelles expériences.

Partage de données au bénéfice des consommateurs

Comment se combinent les ventes en ligne et en magasin ?

A. S. : Il ne faut pas opposer les modèles. Chacun a ses spécificités et notre action vise à les comprendre pour apporter les meilleures réponses aux consommateurs. Dans les dernières années les périodes Covid et confinements qui ont bien-sûr profité aux ventes en ligne. Entre 2019 et 2022, pour le marché de la beauté, elles ont bondi de 24 % en France. Cette accélération a été suivie d’une période de rééquilibrage entre e-commerce et magasins, notamment en 2022. Les ventes en ligne vont continuer de grandir, c’est une certitude, mais cela doit être une opportunité de renforcer l’expérience physique en magasins. Au fond, les consommateur as ont des attentes bien distinctes entre ces deux circuits. En ligne, ils cherchent la commodité, le gain de temps, la facilité de comparaison et un grand choix. En magasin, à tester les produits, à obtenir des conseils personnalisés d’un professionnel, ou simplement à se procurer davantage de plaisir. Les deux sont complémentaires.

Quelles opportunités de collaboration entre marques et enseignes présentent ces nouvelles technologies ? 

A. S. : C’est une chance incroyable. Nous l’avons vu dans le cadre d’une collaboration avec Carrefour avec la solution technologique Live Ramp. Cet outil permet de concilier les données collectées par nos canaux avec celles collectées par nos partenaires. Les retours que nous avons à ce stade sont plus que positifs et montrent la pertinence de ces technologies au service des consommateurs. Par exemple, cela nous permet d’avoir des activations médias développées avec une connaissance consolidée de leurs attentes. Nous espérons l’appliquer prochainement et de la même manière avec d’autres partenaires qui forment notre écosystème.

Le partage des données est la nouvelle pratique vertueuse d’un monde connecté tourné vers les données. Il place le consommateur au centre, et la donnée des uns nourrit celle des autres. Lorsque les partenariats sont bien réfléchis et créés dans un cadre légal sécurisé, ils permettent des gains collectifs. À la fin des fins, ce sont bien les consommateurs qui en bénéficient, grâce à des offres toujours plus pertinentes et adaptées à leurs attentes.

Acculturation générale des salariés du groupe

Quels sont les moyens de L’Oréal en matière d’innovation ? Tous les départements sont-ils mobilisés ?

A. S. : Notre fondateur est un chercheur, l’innovation a été et restera notre moteur. Être le leader mondial de la beauté, c’est un résultat collectif et surtout une exigence perpétuelle : avoir une longueur d’avance. On parle de « révolution de la data » avec un certain lyrisme et l’idée d’une montagne d’opportunités. Chez L’Oréal, nous sommes en train de la gravir avec l’ensemble des salariés : déjà 850 personnes dans le monde, de différents départements, collaborent sur les thématiques liées à la donnée, et ces équipes continuent de progresser. C’est un long chemin qui passe par une montée en compétence collective et l’infusion d’un data mindset de toute l’organisation. Nous lançons actuellement plusieurs programmes dont un “Data 4 All” qui vise à acculturer tous nos salariés. Notre approche test & learn est le marqueur de l’esprit innovant chez L’Oréal. C’est ainsi que nous plaçons l’innovation à l’écoute de toutes les catégories, de toutes les marques et de tous les métiers.

L’enjeu est de comprendre les problématiques de chacun pour construire des produits innovants – notamment sur la donnée ou l’intelligence artificielle – qui répondent à l’ensemble des enjeux (médias, CRM, e-commerce, chaîne logistique…). À la fin, le tout se place au service de notre performance. Mais une révolution ne se mène pas uniquement à l’intérieur de l’entreprise. Nous évoluons dans un écosystème innovant. Je crois beaucoup aux connexions avec nos partenaires pour grandir ensemble. Cette conviction a permis de bâtir des partenariats stratégiques avec le campus Station F, avec des acteurs de la French Tech ou autour d’événements majeurs comme VivaTech. Nous faisons le maximum pour faire entrer l’innovation dans nos modèles et exposer nos équipes à ce qui se passe ailleurs.

Quelle est la position de L’Oréal devant la montée en puissance des biens virtuels en NFT¹ proposés dans le Métavers ?

A. S. : L​‌’Oréal explore les opportunités du Métavers et du Web 3 avec une approche test & learn tout en restant farouchement attaché à ce devoir d’utilité. Certaines de nos marques se positionnent, comme NYX Professionnal Make-Up ou L’Oréal Professionnel, qui ont engagé de premières actions. Nous les avions d’ailleurs partagées à VivaTech l’an dernier. C’est un processus long où nous devons apprendre rapidement, mais dans une approche humble. Nous sommes qu’au début d​‌’un voyage passionnant que L’Oréal veut aborder avec responsabilité et en relation avec son écosystème.

1. “Non fongible token” ou jetons non fongibles : objets numériques uniques, qui ne peuvent pas être remplacés par un autre, comme les œuvres d’art.

Propos recueillis par Idalgo d’Ambrosio et Jean Watin-Augouard

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