Vie des marques

Bic : entretenir et verdir la flamme

20/01/2023

Si contre-intuitif que cela puisse paraître, le « jetable » peut devenir pionnier en économie circulaire. Sur le marché des briquets, Bic mobilise la science pour combiner écoconception et collecte. Entretien avec Jean Drouant Codarini, directeur général adjoint de Bic Lighter, groupe Bic.

Le développement durable est-il une préoccupation ancienne chez Bic ?

Jean Drouant Codarini : Depuis plus de soixante-dix ans, Bic fabrique des produits sûrs et de qualité, très légers et conçus avec le « juste nécessaire » de matières premières. Nous avons toujours considéré que la simplicité – et donc le peu de pièces qui constituent nos produits – et leur longue durée d’utilisation étaient des leviers essentiels en matière de développement durable. Très tôt, Bic s’est penché sur la question de l’impact de ses produits, il a conduit ses premières analyses de cycle de vie dès 1994, ce qui était plutôt précurseur à l’époque. Mais nous sommes bien conscients que cela ne suffit plus. Même si nos produits proposent le meilleur service avec « juste ce qu’il faut » de matières premières, nous devons désormais identifier des moyens de boucler la boucle : collecter nos produits en fin de vie, les démonter et recycler les matériaux récupérés.

Quel produit de la gamme a bénéficié des premières réflexions sur la recyclabilité ?

J. D. C. : Nous avons commencé en 2010 avec un projet pilote de collecte des rasoirs. C’était vraisemblablement un peu trop tôt, et les consommateurs n’étaient pas encore prêts à renvoyer leurs rasoirs par courrier. Nous avons alors arrêté cette collecte et avons lancé peu après un autre test, sur les produits d’écriture. Aujourd’hui, cela se concrétise avec le programme Ubicuity, qui recycle les stylos usagés en une gamme de mobilier d’extérieur. Très récemment, nous avons considérablement accéléré grâce à notre activité briquets. Cela fait sept ans que nos équipes travaillent sur un vaste programme de développement durable. Nous avons adopté des mesures importantes et nos premières réussites nous motivent et nous encouragent à poursuivre, avec l’ambition d’être un pionnier en matière d’économie circulaire dans le secteur des briquets.

Usages au quotidien

Dans une société où les fumeurs semblent moins nombreux, quels sont les usages du briquet qui rendent le produit toujours utile ?

J. D. C. : C’est le fondement de nos réflexions, la question que nous nous sommes posée avant toute autre : offrir une flamme est-il un besoin du futur ? La réponse est oui. La flamme constitue un besoin essentiel. Un briquet est un produit essentiel du quotidien, une source d’énergie. À l’échelle mondiale, plus de la moitié des flammes (52 % ) sont utilisées au quotidien en lien avec des besoins domestiques essentiels comme se nourrir, se chauffer, s’éclairer, mais également pour des usages festifs, ou religieux. Dans de nombreux pays les usages de flammes ont augmenté durant le Covid et les périodes de confinement, que ce soit pour créer une atmosphère plus agréable à la maison (bougie) ou pour cuisiner (certains foyers passant d’un à deux repas chauds par jour à préparer à la maison).

Votre projet de recyclabilité concerne-t-il principalement le briquet de poche non rechargeable ?

J. D. C. : Notre division briquets fait office de fer de lance en matière d’économie circulaire. Cela s’inscrit dans une démarche globale du groupe Bic, qui ambitionne de prendre sa part dans la construction d’un monde plus durable. En plus des autres initiatives menées par le groupe, la catégorie briquet explore de nouvelles méthodes, de nouvelles voies pour tester des moyens d’accélérer notre transformation.

Comment avez-vous œuvré pour passer de l’économie linéaire à l’économie circulaire ?

J. D. C. : L’écueil principal à éviter était de simplement déplacer le problème, de transférer les impacts. C’est pourquoi nous avons adopté une approche scientifique, afin de concevoir un plan de développement durable qui offre une vision à long terme, sans céder aux idées reçues, mais en s’appuyant sur des faits avérés. Nous avons travaillé sur tous les aspects du cycle de vie du produit pour savoir précisément où sont les impacts et comment les diminuer. Nous avons développé un programme de recherche scientifique, Bic SEA, avec des laboratoires experts, car la connaissance scientifique actuelle sur nos sujets est trop académique : nous avons besoin de construire une connaissance scientifique applicable aux briquets. Ce programme doit nous permettre de comprendre la dynamique de dissémination et de dégradation des briquets, de mesurer les impacts de nos matériaux, d’identifier les matériaux les moins nocifs. Les questions que nous nous posons, les résultats que nous obtenons, nous permettent de faire avancer chaque jour davantage nos connaissances et de prendre des décisions éclairées.

Responsabilité et légitimité pour impulser le changement

Les salariés sont-ils embarqués dans le projet ? Circule-t-il à l’intérieur de l’entreprise ?

J. D. C. : Tout un écosystème doit être embarqué. Nos équipes avant tout bien sûr, la R&D, les usines, les services études, les équipes business…. L’approche est nécessairement transversale et multidisciplinaire, car l’équationest complexe. C’est un projet porté et incarné par la direction générale, et c’est important. L’engagement des équipes et la détermination du management sont des clés de succès. Mais nous allons au-delà, nous avons fait appel à des chercheurs, à des scientifiques, nous échangeons avec des ONG, nous travaillons avec nos fournisseurs. Il y a des enjeux à tous les niveaux : fournisseurs, fabrication, transport, distribution, collecte puis recyclage.

Proposer des produits légers et qui durent longtemps est un levier essentiel pour le développement durable, mais nous avons bien conscience que ce n’est plus suffisant. Nous sommes un des leaders mondiaux sur notre marché et estimons à ce titre avoir une responsabilité et une légitimité pour impulser le changement. Comme en matière de qualité et de sécurité, où nous sommes très moteurs pour pousser à davantage de contrôles, nous n’attendons pas passivement, nous cherchons des solutions, pour faire partie de la solution.

Quelles contraintes avez-vous rencontrées pour passer du jetable au recyclable ?

J. D. C. : Il y a plusieurs enjeux cruciaux.

D’abord, dépasser les croyances. Les décisions qui s’imposent à nous sont complexes et nous devons éviter de déplacer les problèmes. Par exemple, contrairement aux idées reçues, les allumettes ne sont pas la solution pour des flammes plus durables. Elles ont un impact environnemental par flamme six fois plus élevé qu’un briquet Bic Maxi. Elles utilisent 70 % de plastique en plus dans le revêtement rouge qui agrège les produits chimiques. C’est pour dépasser ces croyances que nous avons mis sur pied notre programme de recherche, pour prendre des décisions fondées sur des faits.

Désassemblage automatisé

Ensuite, ne pas faire de compromis sur la sécurité. Le développement durable des briquets passe par la sécurité. Qualité et sécurité des briquets sont une priorité. Il existe des normes trop souvent non respectées et cela génère trente mille accidents graves chaque année. Ces accidents ont un coût humain et environnemental indirect, du fait des soins prodigués. Un impact indirect qui alourdit de 44 % l’empreinte carbone globale des briquets vendus. C’est pourquoi le développement durable des briquets passe par la sécurité. Nous proposons des briquets sûrs pour les personnes et plus sûrs pour la planète.

Il faut aussi développer des solutions techniques. Un briquet est un réservoir en plastique qui contient du gaz associé à un système d’allumage. S’il n’est pas conçu et fabriqué correctement, il peut être dangereux. Imaginez quand il s’agit de le désassembler. Concevoir une machine qui permet de démonter un briquet pièce par pièce en éjectant le gaz est techniquement une prouesse. Après sept ans de recherche-développement, nous avons aujourd’hui une machine qui désassemble automatiquement les briquets en fin de vie. Nos équipes ont conçu un écosystème de six machines qui commencent par trier les briquets automatiquement en les scannant. Ceux qui sont en très bon état seront reconditionnés afin de retourner sur le marché. Les autres sont désassemblés pièce par pièce. La matière récupérée est cent pour cent pure, elle sera soit utilisée pour fabriquer d’autres briquets, soit revalorisée à l’extérieur.

Enfin, il faut impliquer le consommateur. C’est un enjeu majeur, car c’est lui qui fait le geste de déposer son briquet dans un point de collecte. Aujourd’hui, le principe de la collecte est adopté dans de nombreux secteurs, encore faut-il trouver un système auquel les consommateurs vont adhérer pour les briquets. C’est cela que nous testons par des pilotes en Espagne ou au Brésil. Nous aménageons en permanence pour trouver la bonne équation. Au final, je vous dirai que la vraie contrainte, ce sont les limites que nous nous mettons.

Modéliser les impacts

En quoi a consisté le recours à des experts scientifiques ?

J. D. C. : Il est la clé de voûte de tout ce sur quoi nous travaillons depuis plus de sept ans. Nous nous sommes rendu compte à l’époque qu’il n’existait aucune connaissance scientifique applicable à nos produits. Or comment améliorer les choses – sans déplacer le problème – si on ne sait pas précisément de quoi on parle ? Nous avons eu la chance de rencontrer la Fondation Tara Océan, qui nous a suggéré de créer nous-même cette connaissance scientifique et qui nous a orientés vers des laboratoires spécialisés comme Plastic@Sea. Avec Plastic@Sea, nous collectons des déchets sur les plages ou en bordure des rivières, et nous étudions la dégradation de nos briquets en milieu marin. Avec l’IRDL, nous modélisons la dégradation des plastiques en milieu terrestre. Nous travaillons aussi avec des experts du comportement des consommateurs afin d’identifier les leviers ou les freins au geste de collecte. Notre objectif avec ces partenariats est de comprendre précisément où sont nos impacts pour les diminuer, comprendre comment appréhender la collecte pour savoir quels types de systèmes mettre en place, et à la fin faire entrer le briquet Bic dans un système plus vertueux d’économie circulaire.

Comment et où collectez-vous les briquets ? Bureaux de tabac, grandes surfaces ? Comment massifier la collecte ?

J. D. C. : C’est la question centrale des pilotes de collecte que nous avons lancés, en Espagne notamment. Nous testons plusieurs systèmes, plusieurs lieux de collecte, plusieurs messages vers les consommateurs, afin d’identifier la meilleure équation pour un modèle d’économie circulaire viable économiquement et environnementalement. Sur la base des résultats des projets pilotes en cours, nous améliorerons et étendrons le dispositif dans d’autres régions du monde.

Comprendre ce que le consommateur accepte ou non de faire

Les comportements des consommateurs sont-ils spécifiques au briquet ? Comment les impliquer ? D’autres acteurs peuvent-ils vous accompagner et comment ?

J. D. C. : Sans consommateurs qui rapportent les briquets, il n’y aura pas de collecte. Il est donc indispensable de comprendre les freins et les leviers. Comment le consommateur utilise-t-il nos briquets ? Est-il porté à le perdre, à l’oublier, à le donner, le jeter… Où serait-il prêt à le ramener, à quelles conditions, quelle périodicité… Le geste de collecte est beaucoup plus répandu qu’il y a quelques années ; pour autant, si nous voulons que ça fonctionne, nous devons comprendre ce que le consommateur peut accepter de faire et ce qu’il n’acceptera pas. C’est ce que nous testons avec le Ciraig, un institut spécialisé dans l’étude des comportements basé au Canada.

L’écoconception facilite-t-elle les opérations de recyclage ?

J. D. C. : Dans notre cas, l’écoconception associé à la qualité et à la sécurité est la condition qui permet ce recyclage. L’atout majeur du briquet Bic, c’est qu’il a été extrêmement bien conçu – bien avant la notion même d’écoconception. Un briquet Bic Maxi, ce sont dix-neuf pièces – au lieu d’une trentaine chez la plupart de nos concurrents – et seulement quatre gestes pour être désassemblé. Grâce à cela et à la qualité des composants, nous pouvons entrer plus facilement dans l’économie circulaire.

Tous les briquets peuvent-ils être reconditionnés ?

J. D. C. : Surtout pas ! L’enjeu prioritaire s’agissant de briquets est la sécurité. Un briquet ne peut et ne doit être reconditionné qu’à la condition de respecter scrupuleusement toutes les normes internationales de sécurité. Pour cela, il doit être précisément scanné, vérifié, rechargé, avoir passé tous les contrôles que nous faisons lors de la fabrication de nos produits. Selon les premiers retours des tests de collecte en cours, il semble qu’environ 30 % des briquets pourraient avoir cette seconde vie.

Obstacles à un élargissement de filière

Recyclez-vous les briquets de vos concurrents ?

J. D. C. : Nous ne sommes en mesure de recycler que les briquets Bic. Nous ne recyclons pas les briquets concurrents pour deux raisons. D’abord, il y a derrière un gros enjeu de sécurité. Près des deux-tiers des modèles de briquets qui circulent en Europe ne sont pas conformes aux normes internationales. Nous ne pouvons pas prendre le risque et la responsabilité de manipuler des briquets potentiellement dangereux. Ensuite, la plupart des briquets concurrents sont fabriqués à partir de composants qui ne sont pas purs, qui sont des mélanges de matières. Or de tels composants sont très difficiles à réutiliser ou à valoriser.

Le plastique est-il incontournable ? Comment réduisez-vous son empreinte environnementale ?

J. D. C. : Pour la réduire réellement, sans déplacer le problème, il faut jouer de plusieurs choses. La première, c’est la qualité. Il faut un briquet sûr, léger, qui utilise peu de matière, et qui dure longtemps. La principale source d’impact se situe dans la tête, à cause du métal, qui a un impact plus important que le plastique. Il faut donc proposer des briquets qui peuvent fournir beaucoup de flammes. Le briquet Bic Maxi en permet jusqu’à trois mille, deux fois plus que la plupart des briquets sur le marché. L’autre levier important est la matière utilisée. Tous les plastiques ne se valent pas. Nous utilisons le POM (polyoxyméthylène), le plus performant, le seul capable de garantir un très haut niveau de sécurité tout en nécessitant une faible quantité de matière. Et encore une fois, c’est un plastique pur, pas un mélange, il peut donc être revalorisé. Mais notre ambition est d’aller plus loin, c’est pour cela que nous lançons en ce moment un nouveau briquet appelé Bic Maxi Écolutions, dont l’impact environnemental est amélioré de 30 %, grâce à l’utilisation entre autres de POM biosourcé. D’ici cinq ans, nous aurons modifié 80 % de notre gamme ; en supprimant les produits qui offrent le moins de flammes, comme le briquet Bic Minitronic ; en utilisant de la matière biosourcée ; et en lançant de nouveaux produits.

Recharge, fausse bonne idée

Qu’en est-il de l’emballage ?

J. D. C. : Un chiffre : 80 % des briquets sont vendus en vrac. Pour les produits vendus avec un emballage, le carton est une bonne option. Mais le changement n’est pas si simple : l’emballage a un rôle crucial de sécurité., de protection des briquets, et cette fonction ne doit pas être négligée. C’est un sujet sur lequel nous avons travaillé et notre briquet Bic Écolutions par exemple est vendu dans un emballage carton.

Recharge ou cartouche sont-elles envisageables ?

J. D. C. : Les briquets rechargeables, comme les allumettes, sont une fausse bonne idée. Outre le fait que la plupart des consommateurs ne rechargent par leurs briquets dits rechargeables, ces produits peuvent provoquer des accidents graves lors du rechargement, ce qui a un coût humain et environnemental indirect. Regardons factuellement les choses. Les normes de sécurité ne peuvent pas être garanties après le rechargement. Les briquets rechargeables sont moins adaptés au recyclage, car le mécanisme de recharge à l’intérieur du briquet est composé de nombreux matériaux. Les briquets rechargeables ont une capacité en gaz plus faible, car le mécanisme de recharge prend de la place dans le réservoir. Les briquets rechargeables ne le sont souvent qu’en théorie. Il ne suffit pas de rajouter du gaz, il faut changer certaines pièces (comme la pierre) pour que le briquet continue à fonctionner. Encore faut-il les trouver. Et n’oublions pas l’impact environnemental des recharges de gaz, que personne ne veut aujourd’hui recycler du fait de leur dangerosité.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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