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Énergie, coûts à répétitions

03/06/2022

Dans l’industrie des PGC, l’inflation des coûts peut être à deux chiffres, voire pas loin de trois. Faire avec et continuer à innover dans le sens de la transition écologique tend à la quadrature du cercle. Témoin l’industrie du papier. Entretien avec Marie-Laure Mahé, vice-présidente d’Essity Consumer Goods, France-Belgique-Italie-Espagne-Portugal.

Comment a évolué le poids des coûts énergétiques pour Essity depuis un an ?

Marie-Laure Mahé : De façon intrinsèque, le processus de transformation de la pâte à papier en produit final utilisable par le grand public requiert un apport énergétique conséquent. Le poids de l’énergie dans le coût de revient de nos produits a été multiplié par quatre en quelques mois, conséquence directe de la guerre en Ukraine.

Outre l’énergie, quelle est la part des matières premières affectées par de fortes hausses de coûts et non réductibles dans vos produits ?

M.-L. M. : Au-delà des augmentations soudaines et successives des prix des énergies, comme l’ensemble des industriels nous sommes aussi affectés par l’augmentation des coûts d’emballage et de transport.

Par ailleurs, nous sommes depuis de nombreux mois exposés à l’augmentation des prix de la pâte à papier : + 75 % en un an. C’est la première composante de nos coûts. Cette hausse s’accentue à court terme et va nous obliger à revoir nos plans pour le deuxième semestre 2022.

Comment Essity absorbe-t-il ces hausses de coûts ?

M.-L. M. : En interne, nous avons optimisé tout ce qui pouvait l’être, afin de réduire nos coûts : frais marketing et commerciaux, investissements… Mais, face à la soudaineté et à l’ampleur de la crise, inédite pour l’ensemble de l’industrie papetière, ces mesures se sont avérées insuffisantes. Aussi, avons-nous été contraints de renégocier nos prix en cours d’année avec la grande distribution. Économiquement, Essity n’était plus en mesure d’absorber seul ces coûts supplémentaires.

Couvrir les coûts pour investir

Jusqu’à quel point un industriel de produits comme les vôtres peut-il agir en amont pour amortir les hausses de coûts ?

M.-L. M. : Il n’y a pas de solution magique. Tout repose sur un travail et un engagement à long terme, des investissements pour changer la donne, dans tous les domaines. Essity est engagé depuis de nombreuses années à optimiser ses coûts. Dans le domaine énergétique, nous avons développé des programmes de réduction de notre consommation appelés « e-Save », sur tous nos sites industriels. Nous cherchons également en permanence à mettre en place des solutions alternatives. Cela peut passer par des coopérations solides comme celle que nous avons développée sur notre site de Gien, dans le Loiret. Le partenariat mis en place avec le Syctom nous garantit un approvisionnement en vapeur qui permet de réduire notre dépendance énergétique tout en diminuant de près de 20 % de nos émissions de CO2.

De telles initiatives ne sont envisageables qu’assorties d’une volonté et d’une vision. Celle d’Essity consiste à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La plupart du temps, ces choix nécessitent des investissements conséquents, qui engagent l’entreprise dans la durée. Les solutions mises en place sont locales : la grande majorité de nos produits d’hygiène en papier vendus en France sont également produits en France, dans nos usines.

Ce travail permanent et de longue haleine passe aussi par l’innovation. Nos investissements dans ce domaine ont trois vertus : réduire notre empreinte environnementale, grâce à des solutions techniques innovantes ou à l’utilisation de matériaux de pointe, apporter un mieux-être aux consommateurs et optimiser nos coûts. C’est le cas d’une innovation telle que celle de Lotus, première marque à avoir supprimé le tube central en carton du rouleau : une innovation qui a nécessité plusieurs années de recherche et plus de 20 millions d’euros d’investissements.

Concernant la pâte à papier, nous venons de développer et de lancer en Allemagne des produits d’hygiène (papier toilette, mouchoirs ou essuie-tout) intégrant de la paille de blé non-valorisée en substitution d’une partie de la pâte à papier. Cette première mondiale a nécessité plusieurs dizaines de millions d’euros investis sur plusieurs années.

Avec ces évolutions, l’objectif d’Essity est inchangé : proposer des produits d’hygiène prioritaires, fabriqués en France, au meilleur rapport qualité-prix pour les consommateurs, en couvrant ses coûts de production.

Minimum de marge nécessaire

Comment Essity a-t-il développé des alternatives aux énergies fossiles ? Quels sont vos projets dans les énergies renouvelables ?

M.-L. M. : Dans le domaine des produits d’hygiène en papier, Essity ouvre en permanence de nouvelles voies pour réduire sa consommation énergétique, trouver des alternatives aux énergies fossiles, en particulier au gaz. Un pilote d’hydrogène vert pour faire fonctionner une machine à papier existe en Allemagne. Une première mondiale réalisée par Essity. Nous avons également mis en œuvre la première machine à papier géothermique à vapeur au monde, dans une de nos usines en Nouvelle-Zélande.

Comment intégrez-vous ces hausses de coûts dans les négociations commerciales ? Les indicateurs de référence font-ils toujours autorité ?

M.-L. M. : Nous ne pouvons pas absorber ces augmentations de coûts exceptionnelles seuls. Cela n’est économiquement pas viable. C’est la raison pour laquelle nous avons dû renégocier nos tarifs avec la grande distribution. Et nous devrons très certainement négocier à nouveau dans les semaines qui viennent, compte tenu de la hausse continue de tous nos intrants.

Le surcoût énergétique vous conduit-il à reporter certains lancements de produits ?

M.-L. M. : Oui, nous avons mis plusieurs lancements de produits en attente, car il est économiquement impossible d’investir dans des lancements en hygiène papier cette année.

Avez-vous été conduits à réduire la fabrication de certains produits faute de matières premières suffisantes ?

M.-L. M. : La matière première est disponible sur le marché. Mais il faut y mettre le prix pour y avoir accès, car le coût des matières a explosé en quelques mois. Par conséquent, nous revoyons nos plans :  pour assurer la continuité de nos approvisionnements, réaliser les investissements prévus en matière d’innovation produits, continuer de moderniser nos équipements de production et maintenir l’emploi sur nos sites, un minimum de marge est nécessaire.

Fournir coûte que coûte l’essentiel

Y a-t-il des produits dont vous ne pouvez envisager de réduire la production, du fait de leur caractère essentiel pour les consommateurs ?

M.-L. M. : Nous vendons des produits avec un taux de pénétration de 100 %. Tous les Français utilisent du papier toilette. Il est donc indispensable de fournir ces produits aux consommateurs, coûte que coûte, crise ou pas crise. Notre industrie a été reconnue prioritaire et d’utilité publique par le gouvernement lors de la période Covid, elle est essentielle à l’hygiène et à la santé publique.

Nous avons déjà dû faire face à une augmentation inédite de la demande lors de la période Covid, caractérisée par des achats paniques de la part des consommateurs. Cela a déstabilisé l’offre et la demande. L’histoire pourrait se répéter : nous fabriquons actuellement en flux extrêmement tendus.

Observez-vous depuis un an des variations de vos ventes ?

M.-L. M. : Il y a en effet de fortes variations dans la consommation des produits d’hygiène en papier. Avec le port du masque pendant la période Covid, les ventes de mouchoirs ont fortement chuté, car le confinement et l’absence d’interaction sociale ont limité la propagation des infections virales (rhumes, bronchites, sinusites). Ce marché repart depuis la levée de l’obligation du masque. Concernant l’essuie-tout, la consommation liée à la désinfection des surfaces s’est fortement accrue pendant la période Covid. Le marché est actuellement en recul. La consommation de papier toilette est stable, avec un rééquilibrage progressif entre la distribution classique et la consommation hors domicile (hôtel, restaurants), du fait de la reprise économique et touristique.

Dans ce contexte d’inflation des coûts, avez-vous dû renoncer à des investissements, ou y a-t-il un risque que cela se produise ?

M.-L. M. : Nous n’en sommes plus à des plans annuels, nous revoyons nos plans chaque mois, en fonction des évolutions des coûts des produits.

Le contexte vous conduit-il à modifier vos programmes en économie d’énergie et de matériaux ?

M.-L. M. :  Essity est engagé depuis de nombreuses années dans des plans ambitieux dans ces domaines. Le contexte actuel nous encourage à y maintenir voire à accélérer de nouveaux programmes.

Popos recueillis par Jean Watin-Augouard

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