Bulletins de l'Ilec

Sensibilité à l’hiver - Numéro 466

31/07/2017

Entre industrie et grande distribution, les possibilités d’innovation partagée pâtissent d’un modèle français de la « négo » qui dissuade l’initiative de décembre à mars. Il y a encore à faire. Entretien avec Jean-Jacques Grégoire, Bluetit Conseil

Les grandes enseignes de la distribution sont-elles très demandeuses d’innovations de marque ?

Jean-Jacques Gregoire : Il faut s’entendre sur le mot innovation, elle peut varier selon qu’elle est donnée par le distributeur ou par l’industriel : comment distinguer la vraie de la fausse innovation ? Porte-t-elle sur le produit, sa composition, l’emballage, le format, le design ? Les grandes enseignes sont bien sûr demandeuses d’innovations, car elles développent leur chiffre d’affaires, et les innovations, lorsqu’elles sont exclusives à une enseigne, permettent de créer de la différenciation. Cela fait partie du contrat de base, proposer du choix et un renouvellement de l’offre. On le constate aisément, en particulier dans les pays émergents où, pour se singulariser d’un petit commerce encore très important, les grandes enseignes proposent des marques qui innovent et s’imposent par le prix, mais proposent aussi le choix.

Une question demeure : faut-il un prix de lancement ? Les industriels n’y sont généralement pas favorables, estimant qu’il n’y a pas de prix de marché et qu’il ne faut pas commencer par promotionner ; les distributeurs sont en phase avec eux, ne voulant pas éroder leur marge sur des produits nouveaux. Mais les consommateurs, eux, ne veulent pas prendre de risques sur un produit qu’ils ne connaissent pas, surtout si le prix est assez élevé ; aussi attendent-ils une offre d’essai sous la forme d’une baisse de prix.

Les relations industrie-commerce à la française laissent-elles assez de place à la coopération prévisionnelle, à la compréhension partagée des données, en vue d’innovation futures ?

J.-J. G. : Je pense que l’heure n’est toujours pas à la coopération, malgré les efforts entrepris, notamment par ECR1, dans les échanges entre industriels et distributeurs. De décembre à mars, tout est gelé, les dossiers portant sur la collaboration sont en suspens. Industriels et distributeurs ne consacrent pas assez de temps aux enjeux communs, alors que chaque partie détient des informations clés.

Combien de temps de référencement en linéaires faut-il a minima à un nouveau produit de grande consommation, pour éventuellement commencer à percer en grande surface ?

J.-J. G. : Tout dépend de sa fréquence d’achat dans la catégorie, des objectifs, de la cible client, de la politique de lancement… Aujourd’hui, on peut mesurer précisément, grâce aux informations disponibles avec les cartes de fidélité, les taux de pénétration, de renouvellement d’achat, la cannibalisation dans la catégorie, et dans les autres catégories… Il s’agit de se mettre d’accord sur les objectifs et sur le choix d’indicateurs pertinents, et de faire dans un délai convenu un bilan quantitatif, qualitatif et d’image.

Dans les catégories de produits fortement saisonniers, l’innovation est-elle nécessairement plus exposée à des contraintes ou contradictions de calendriers (entre calendrier commercial, calendrier de la communication, de la logistique…) ?

J.-J. G. : Tout dépend des produits et de leur théâtralisation pour le lancement. Il y a des périodes de l’année où les zones de mise en avant sont il est vrai extrêmement chargées. Lorsqu’il faut implanter des opérations calendaires fortes, par exemple Pâques plus la foire aux vins de printemps, plus l’opération beauté, c’est très compliqué. Le choix de la bonne période de lancement doit avant tout primer, et l’intendance doit suivre. La priorité est le développement du chiffre d’affaires.

L’intelligence artificielle et les algorithmes permettent-ils de cerner la bonne période ?

J.-J. G. : Il y a quand même le bon sens du commerce. On ne va pas lancer de nouvelles glaces individuelles en novembre !

Ou au contraire l’étroitesse temporelle de la période de mise en marché est-elle compensée par le caractère plus prévisible, balisé, les habitudes prises par les divers acteurs de la chaîne d’approvisionnement ?

J.-J. G. : Oui, si je reprends l’exemple des glaces ou des boissons rafraîchissantes sans alcool : la période est plus courte et les équipes mobilisées, par exemple sur les plans de merchandising, sur la logistique, pour être complètement opérationnelles dès le démarrage de la saison.

Pour les produits a priori non saisonniers, y a-t-il néanmoins une saison plus propice au lancement de produits nouveaux, comme il y en a par exemple sur le marché du livre ?

J.-J. G. : La grande distribution sait créer des événements thématiques transversaux à toutes les enseignes, et qui sont devenus calendaires, par exemple la foire aux vins. Il doit sûrement y avoir quelque chose à inventer avec l’innovation ; généralement une enseigne a un coup d’avance, et les autres suivent.

1. Pionnier de l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement et de la mutualisation, le mouvement paritaire ECR France, dont l’Ilec fut l’un des initiateurs, s’est fondu en 2016 dans l’Institut de commerce (https://institutducommerce.org).

Propos recueillis par J. W.-A.

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