Tribunes

Un marketing créateur de futur

08/12/2022

Tout le monde en convient, il faut rendre nos modèles économiques compatibles avec les limites planétaires. Mais une telle transformation est souvent abordée sous l’angle du risque, des coûts et des difficultés à surmonter. Elle est pourtant aussi créativité, audace et émulation, une perspective enthousiasmante, que le marketing doit porter de l’entreprise jusqu’au consommateur. Le point de vue de David Garbous, fondateur du cabinet Transformation positive et de la plateforme Réussir avec un marketing responsable.

La pression qui s’exerce sur les entreprises afin qu’elles opèrent leur transformation change d’ampleur. Engagée par des parties prenantes « expertes » comme les ONG, elle est maintenant le fait d’un public bien plus large. Les consommateurs interpellent directement les marques, demandent des comptes, rejoints par les banques et les assurances. La capacité de résilience et la mesure du risque pris au regard des actions menées pour répondre aux enjeux climatiques, environnementaux et sociaux font désormais partie des discussions. Les prêts sont conditionnés ou bonifiés en fonction de l’existence ou non de plans climat. Demain ils seront une condition d’accès au crédit. La finance s’invite donc au cœur de la transformation des modèles économiques.

Les entreprises doivent également se soumettre à de nouvelles obligations légales. Aussi le cumul de ces exigences n’est surmontable que si elles travaillent avec leurs parties prenantes. Personne ne peut y arriver seul, d’autant moins que les interactions sont multiples et les incidences innombrables. Du fournisseur au consommateur, tous ont besoin des uns et des autres pour atteindre leurs objectifs propres. Comme dans la nature, tout est lié.

Décloisonner et nouer des alliances

En répondant aux questions de leurs parties prenantes, les entreprises recréent une capacité de différenciation. Dans une offre abondante, nous en étions venus à ce paradoxe que tous les produits étaient équivalents. Dans une telle situation, l’achat le plus malin est d’acheter le moins cher. Il faut sortir de ce modèle et accentuer la différenciation, par les preuves, celle de choix stratégiques engagés qui procurent des résultats dans toute la chaîne de valeur. Ce changement stimule la créativité, l’innovation, remobilise les parties prenantes.

Il faut aussi encourager les accords de coopération pour aller plus loin. Prenons l’exemple de Petit bateau et Décathlon. Les deux entreprises se sont alliées pour financer des recherches sur des textiles novateurs et en partageront les bénéfices. Seules, elles n’auraient sans doute pas pu le faire. L’union des moyens et des forces est indispensable.

Ici le marketing joue un rôle central. La transition écologique lui redonne son rôle stratégique historique. C’est le service qui fera basculer l’offre vers la résilience et qui embarquera les clients. Le marketeur d’aujourd’hui doit être capable d’identifier dans son portefeuille d’offres les pépites qui feront les affaires de demain, et se concentrer sur elles pour piloter la transition. C’est par là que les changements s’opèrent puis se diffusent dans l’entreprise.

Mais le marketing ne réussit que si, et seulement si, il parvient à emmener tous les services de l’entreprise dans son sillage : les achats, la R&D, les commerciaux, etc. Il faut casser les silos en interne en même temps que chercher des alliances externes, qui seront des accélérateurs pour faire connaître la nouvelle offre et des caisses de résonance. Les enjeux de crédibilité sont forts, la caution d’un tiers de confiance est fondamentale.

Dire l’histoire dans le bon sens

Les entreprises agissent au nom de leur responsabilité environnementale, les trajectoires carbones se multiplient, la protection de la biodiversité s’étend… ONG et spécialistes perçoivent ces avancées, mais cela ne parvient pas assez jusqu’au client final. Il peut entendre des choses pertinentes sur les marques, par les discours corporate ou la « marque employeur », mais il a toujours le sentiment d’acheter le même produit.

Les marketeurs ne veulent pas bousculer les habitudes, ils craignent de perdre des clients fidèles à la marque. De plus, le procès en greenwashing effraie, les marques sont vite attaquées. Un autre risque est d’être taxé d’opportunisme.

Mais là encore, tout tient au discours tenu. Si la promesse est « mon produit sauve la planète », on cumule tous les risques. Car si pour embarquer un public plus large que les convaincus, il est impératif d’en revenir d’abord au bénéfice égocentrique, le bénéfice immédiat pour le consommateur, ici et maintenant, avant d’en venir aux objectifs plus altruistes. Ce qu’un consommateur attend par exemple d’un produit alimentaire, c’est qu’il soit toujours aussi délicieux (plaisir immédiat), qu’il soit composé de bons produits (pour sa santé immédiate et à venir), puis qu’il contribue à un meilleur futur. Si le bénéfice environnemental est mis trop ostensiblement en avant, les consommateurs ne réagissent pas, ou très peu, et la conclusion tombe bientôt, fatidique : « Les consommateurs ne sont pas prêts. »

Non, il suffit de leur raconter l’histoire dans le bon sens ! Quand je dirigeais le marketing stratégique de Fleury Michon, nous avions pris le pari de lancer un jambon « zéro nitrites », ce qui a eu pour conséquence immédiate de faire perdre la belle couleur rose du produit. Nous prenions alors le risque de perdre une partie des clients, car pour tous, le jambon, c’est rose. Si nous avions dit « Notre jambon est gris, mais il est bon pour la planète », quels consommateurs nous auraient suivis ? En expliquant pourquoi les tranches avaient cette teinte, que c’était meilleur au goût et meilleur pour la santé, et qu’en plus c’était meilleur pour la planète, nous avons donné au consommateur les moyens de saisir la valeur ajoutée de notre produit ,et le succès a été au rendez-vous.

Aller plus vite que les politiques

La RSE n’est pas compliquée, de coûteuse ni pénible. Les obstacles sont ceux qu’on s’invente en interne. Il faut oser, saisir cette chance de se réinventer. Les entreprises qui attendent les obligations légales pour agir ne s’en sortiront pas.

Certes, les politiques se déploient avec une relative lenteur et certaines entreprises ont le sentiment qu’elles ont le temps. Mais les consommateurs votent à chaque achat. Chaque jour une marque se remet en jeu, elle peut être réélue ou pas. Des applications comme Yuka orientent les choix. Les marques doivent donc être plus rapides que les politiques. Dans les années 90, la première préoccupation de la société française était le racisme, la discrimination. Aujourd’hui, c’est l’interrogation sur notre volonté de créer un futur. C’est vertigineux et tellement entraînant, c’est gai et joyeux. Je ne nie pas que cela soit compliqué de se remettre en question. Mais ce qui parle à tout le monde à présent, c’est le sens. Donner du sens peut faire bouger les gens cent fois plus vite et cent fois plus loin. Le sujet, c’est bien l’engagement, l’alignement : comprendre et avoir envie de participer.

Il y a bien sûr dans tout changement de la résistance, il ne faut pas la sous-estimer. Là encore, il faut accompagner. Quelle sera la place de chacun dans la nouvelle organisation ? Les expertises d’aujourd’hui seront-elles valables et utiles demain ? Qu’est-ce que chacun gagne à cette transformation ? Quels sont les bénéfices personnels que chacun en tire ? L’opportunité, c’est que les salariés puissent aligner leurs injonctions personnelles, leurs préoccupations de citoyens, avec celles de leur entreprise. Sans cela trop d’incertitudes ralentiront la transformation nécessaire.

80 cas d’école triés sur le volet

La plateforme Réussir avec un marketing responsable témoigne que responsabilité et rentabilité peuvent aller de pair, qu’on peut changer, gagner de l’argent, de la notoriété, et créer un élan formidable chez les salariés et les clients pour faire différemment, plus responsable. Depuis dix ans nous mettons en lumière des bonnes pratiques après les avoir passées au crible d’un comité de sélection rigoureux¹. La grille d’évaluation est stricte, au moindre doute les ingénieurs de l’Ademe et de Citeo interviennent. Notre but est d’apporter collégialement de la valeur aux entreprises qui agissent et qui réussissent.

Les quatre-vingts pratiques vertueuses, sélectionnées depuis 2013 sont consultables en libre accès sur le site. Des conférences, des podcasts, des posts sur les réseaux sociaux enrichissent ce contenu tout au long de l’année. L’objectif est de rendre ces initiatives visibles pour qu’elles inspirent et encouragent ceux qui ont des difficultés à avancer dans cette voie.

Parmi les fiches de bonnes pratiques éditées, un grand nombre sont issues des marques de PGC. Les industriels sont en marche. Cette année encore, trois grandes marques ont été sélectionnées : d’Aucy, Les 2 Vaches et Ricard (Aberlour figurant par ailleurs au nombre des « Espoirs 2023 »). Les trois marques inscrites au palmarès 2022 illustrent le souci actuel d’un approvisionnement durable et responsable en matières premières.

L’économie circulaire est un sujet qui monte en puissance. L’extraction de ressources qui finissent à la poubelle n’est plus soutenable. C’est pourquoi les propositions d’un deuxième, voire d’un troisième cycle d’utilisation sont de plus en plus faites aux consommateurs, par les mêmes entreprises qui hier encore pensaient que cela pouvait anéantir leur business ! Au contraire, cela fidélise, cela crée de la confiance et permet même de recruter une nouvelle clientèle. De belles perspectives, non ? Les bénéfices iront aux entreprises qui auront bougé le plus vite.

[1] Comité de sélection : Ademe, Citeo, Transformation positive, Ilec, Adetem, Union des marques, Audencia.

David Garbous

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