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Commission d’enquête

Auditions à grand rythme

09/08/2019

Nombreuses, denses et parfois vives : les auditions des représentants de la distribution par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale ont été riches par leur contenu.

Après Envergure, Système U et Horizon au début du mois, les auditions de représentants de la grande distribution ont continué à se succéder à un rythme intense en juillet : distinctement CWT et Carrefour, Intermarché, Horizon, Groupe U, Auchan, Lidl, Cora-Provera, Amazon France, distinctement Galec, Eurelec, Coopelec, Coopernic et ACD E.Leclerc. Les comptes-rendus écrits de ces auditions sont disponibles sur le site de l’Assemblée nationale, ainsi que les enregistrements vidéo, dont les comptes-rendus édulcorent parfois la vivacité, voire la tension.

On y trouve des considérations parfois attendues, d’autres qui le sont moins ou qui par le  luxe de détails apportent, aux politiques et à la presse, un éclairage sans précédent sur les sujets comme celui des centrales d’achat ou de services à l’international : leur justification, leur organisation, leur interférence avec la négociation nationale, etc.

Le propos des représentants auditionnés tenté de relativiser l’idée de la dissymétrie au détriments des fournisseurs, à l’instar de Gwenn Van Ooteghem, directeur des achats marques nationales Intermarché : « Nous négocions avec les représentants des filiales de multinationales en France ou de plus en plus souvent des filiales européennes, les directeurs généraux de ces filiales sont en effet de plus en plus chargés de plusieurs pays. Pour certains la France est une simple région, il faut donc relativiser notre poids dans leur business car pour certaines nous passons du statut de petit client à celui de très petit client. »

Alain Bompard lui a fait écho et a relativisé aussi la réputation d’âpreté des négociations industrie-commerce en France, assurant n’y avoir« pas vu de grandes différences dans les relations d’affaires avec les secteurs [qu’il] connaissait avant celui-là », avant d’être contredit sur ces deux points par respectivement le rapporteur Besson-Moreau et le président Benoit. Le PDG de Carrefour a alors attribué le sentiment de négociations plus dures en France à leur caractère périodique de « rite avec son point de départ, sa crise paroxystique et son dénouement, dans 99,9 % des cas favorable », au lieu de la « négociation permanente non ritualisée » qui se pratique hors de France.

Hervé Daudin s’est exprimé dans le même sens, le même jour, en attribuant une part de cette âpreté au « carcan juridique » français, « une des raisons qui depuis une vingtaine d’années ont détruit le rapport équilibré que l’on aurait pu imaginer et qui existe dans beaucoup d’autres pays ».

Alain Bompard a eu plus de difficulté à relativiser les propos du rapporteur sur la disproportion entre le coût et l’utilité des services de CWT : « Ce qui montre l’importance de ces accords internationaux, c’est que si on les retirait et que vous ne faisiez que 10 % de marge sur un service, ce ne serait pas très grave, vous ne perdriez que 10 % des « x » % que vous prenez. Mais parce que la marge est énorme, le fait de retirer ces services serait effectivement catastrophique pour votre groupe. Tout est dans la proportion, ou plutôt dans la disproportion des services que vous proposez. »

A propos des conditions des négociations toujours, Gregory Besson-Moreau a fait allusion à la tenue d’auditions d’industriels à huis clos : « Quand j’ai commencé cette commission d’enquête, je ne pensais pas entendre des choses comme cela de la part de personnes qui ont des niveaux d’étude très poussés, qui ont la responsabilité de milliers d’emplois. On a vu des gens les larmes aux yeux. J’ai vu des patrons d’entreprise tremblants. (…) Ils nous disent que les relations ne sont même pas tendues, ce sont des relations de soumission. Ce sont des abus de position dominante. Je vous le dis, vous êtes le PDG, à un moment donné, faites attention, parce que j’ai toujours privilégié le contrat de confiance à la contrainte législative, mais la logique risque de changer. »

Avec Hervé Daudin, le rapporteur a creusé le détail des activités des centrales internationales (« Quand un consommateur brésilien reçoit un prospectus, qui paye l’imprimeur : Horizon à Genève ou Casino au Brésil ? »), avant de mettre en cause les « plans promotionnels d’Horizon International complètement disproportionnés ».

Beaucoup de questions sur la galaxie Leclerc

Si Michel-Édouard Leclerc a pu invoquer le marché unique pour justifier l’existence de structures vouées à l’unification des conditions commerciales des « multinationales », en évoquant le détail de l’activité de Coopernic, Laurent Collot, directeur général, de Coopernic,  a dissipé la chimère – chère à la Commission européenne – du « consommateur européen » : « Vous avez évoqué une même marque dans les vingt-deux pays, or le consommateur européen est un mirage et n’existe pas encore. Les grands groupes que vous avez cités ont peut-être une marque à destination de la moitié des pays, mais ils en ont une deuxième ou une troisième pour d’autres et ce n’est jamais la même en raison d’une histoire, des liens de chacune d’entre elles avec les consommateurs de ces derniers. »

Sur les interférences Coopernic Eurelec Galec, qu’il exclut, Laurent Collot a cette réponse : « Les distributeurs révisent en permanence leur équation économique. Quelle est-elle ? J’ai trois fournisseurs dans une même catégorie. Leur dynamique naturelle repose sur leur marque mais elle s’exerce aussi à travers des leviers qu’ils sont prêts à actionner et des investissements qu’ils sont prêts à faire. Si un fournisseur décide de ne plus investir,  nos associés auront tendance à privilégier ceux qui apportent de la dynamique, qui favorisent la meilleure équation économique. Certains fournisseurs appellent cela des sanctions, il s’agit seulement de la loi du marché. »

Laurent Collot a décliné de répondre à la question du rapporteur et du président relative a chiffre d’affaires réalisé par Coopernic : «  Notre chiffre d’affaires constitue une information relevant du secret des affaires, que nous ne pourrons malheureusement pas vous communiquer. – Il pourrait être communiqué à huis clos. – Non. »

Répondant au président Benoit, Olivier Petit. directeur général adjoint d’Eurelec, a confirmé que le refus de contracter avec sa structure met fin à la relation commerciale avec les clients de celle-ci, en l’occurrence la Scabel pour Leclerc : « À partir du moment où Eurelec est devenue la clé de la mise sur le marché national de ses produits, l’industriel ne peut qu’accepter ou refuser. S’il refuse, le contrat est dénoncé nationalement, avec un préavis. »

Lionel Barbaras, directeur général exécutif de Provera, a demandé le huis clos pour s’exprimer sur les modalités de la « garantie » qu’a Cora d’obtenir par Interdis le « bon prix d’achat, celui de Carrefour », sans que ce soit un « alignement des prix entre concurrents » comme le croit le rapporteur.

Avec les représentants dEurelec, celui-ci s’est montré très pugnace sur les ordres de déréférencement en cours de négociation  : « Effectivement, vous n’avez pas les moyens de stopper les commandes, mais quand nous recevons les centrales qui se situent en dessous de vous, elles nous disent qu’elles n’ont pas les moyens de parler des prix. Et quand nous interrogeons les centrales de services, elles nous tiennent le même discours : “Nous proposons des services et si les industriels ne les acceptent pas nous n’arrêtons pas les commandes”. Alors pourquoi, quand nous recevons les industriels, ils se présentent tous avec des arrêts de commandes ? Il y en a bien un qui appuie, à un moment donné, sur le bouton. Vous venez de nous dire : “Je ne suis pas là pour arrêter les commandes, mais pour informer” ! Mais quand vous informez la Scabel, Galec ou Scaso, un courrier part et on arrête de commander la marque. »

Avec Michel-Édouard Leclerc, la commission a développé le thème du revenu agricole (tout en redisant l’absence de lien entre ses travaux et le suivi des ÉGA). « Comment dans dix ans, a demandé le rapporteur, quand on sera à moins 30 ou 35 % , donner plus de revenus au monde agricole ?  » Michel-Édouard Leclerc a contre-attaqué en demandant des « prix minimum » : « On peut respecter un prix minimum, mais nous demander de mettre un prix minimum alors que vous nous garantissez pas par la loi que c’est légal ce n’est pas correct.(…) La législation que vous avez façonnée nous oblige à travailler en prix de marché. (…) Le prix de marché n’est pas juste, mais comment fait-on pour sortir d’un prix de marché sans être sanctionnables par la législation ? Je propose qu’on nous autorise à des ententes. »

L’idée d’instaurer une « indexation du tarif en fonction du prix de revient » a été exprimée par le rapporteur, notamment lors de l’audition de Michel Biero, directeur des achats de Lidl, en ces termes : indiquer « par exemple pour les crèmes dessert, les pizzas ou un autre produit transformé, les cinq ou dix principaux ingrédients de base qui constituent le produit transformé » et indexer ces coûts en fonction de l’évolution de l’indicateur de coûts de revient, et ce pour l’ensemble des références »

La date sur la sellette

Répondant aux critiques d’Hervé Daudin sur la « date butoir qui met de la pression, par rapport à d’autres pays » et le « fait que ce soit le 1er mars et non par exemple le 15 décembre », Grégory Besson-Moreau, a indiqué que les députés menaient une « réflexion sur la date » : « Il faut prendre en compte le cycle des productions du blé, de tout ce que l’on récolte. Cela paraît donc décorrélé de signer à fin février », mais « ne ne pas mettre de date, c’est à double tranchant. Si nous n’en fixons pas une, vous être libres de négocier en permanence ».

Soucieux apparemment d’aller au-devant de ses interlocuteurs sur ce point, Thierry Benoit s’est avancé davantage, en parlant d’avancer la période de négociations et de la réduire, de la Toussaint à Noël ou au 31 décembre. Au moins un sujet d’accord avec Michel-Édouard Leclerc, comme cela avait été le cas avec Michel Biero.

Plus questionné sur la fiscalité que sur les pratiques commerciales à proprement parler, nonobstant un échange vif avec l’ancien secrétaire d’État au Numérique Mounir Mahjoubi, Frédéric Duval, délégué général d’Amazon France, s’est entendu réclamer par le rapporteur un courrier indiquant « pour l’intégralité des pays européens, le montant exact des achats chez les cinq plus gros industriels afin que [la commission puisse] comprendre exactement où [Amazon] achète, où [il] facture et où  [il] vend ». Et Grégory Besson-Moreau de citer « l’exemple des couches achetées en Europe, où sont-elles achetées, où sont-elles revendues et quel est le montant de ces ventes ? Je souhaite que vous précisiez également dans ce courrier le montant de l’impôt versé dans chacun des pays pour l’intégralité de ces références ». Le rapporteur ajoutera ce commentaire : « Je ferai tout pour protéger le consommateur, l’agriculteur, le transformateur, l’industriel français, face à un groupe qui, à mon goût, manque de transparence. »

François Ehrard

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