Analyses de l’Ilec

Identité : entreprise de marques

28/03/2022

Les instituts de statistiques ne les répertorient pas comme telles, mais les entreprises connues pour leurs marques ont plus que cela en commun, à en juger par leurs performances et leurs retombées socio-économiques.

Qu’est-ce qui distingue une entreprise de marque, ou plutôt de marques ? Les marques sont constitutives, entre autres éléments, du capital immatériel des entreprises. Marque-entreprise, marques ombrelles, marques de produits… : dans l’univers de la grande consommation où les produits sont nombreux, la fréquence d’achat élevée et la valeur faciale modique, l’identification par la marque est essentielle. Elle est au fondement de la traçabilité et de la reconnaissance qui permet la valorisation, l’appropriation, la relation, l’information du consommateur. Les entreprises de marques sont spécialement tournées vers les consommateurs sous ces aspects.

Il y a des marques dans d’autres secteurs, et des plus prestigieuses : dans le luxe, l’automobile, les technologies de l’information, etc. Mais c’est bien de l’univers de la grande consommation que la notion d’« entreprises de marques » est la plus représentative. Car du fait de la fréquence d’achat, c’est le secteur où la marque est le plus souvent en jeu à proprement parler, remise en jeu dans chaque situation d’achat, avant chaque décision d’achat. Un secteur où les marques, aussi, sont très souvent copiées, ce quiet doivent toujours innover pour rester pionnières.

Il arrive aussi que des marques soient contrefaites. Comme les brevets ou les dessins et modèles, les marques sont un capital immatériel protégé par la propriété intellectuelle. En cela elles se distinguent d’autres éléments susceptibles de valoriser un produit, par exemple son origine géographique.

L’actif immatériel le plus accessible

Une étude conduite par le Bureau européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) et l’Office européen des brevets [1] livre des enseignements précieux sur l’importance de ce capital immatériel. Conduite parmi 127 000 entreprises de l’UE 28 (données de la période 2015-2018), dont 11 000 en France, elle montre que ce capital paraît partout corrélé à la performance économique mais aussi sociale des entreprises. Ainsi, le salaire annuel moyen dans les entreprises détentrices de marques s’élève-t-il à 35 000 euros, 17,4 % de plus que dans les entreprises non détentrices de marques.

L’indicateur de performance retenu dans l’étude, le revenu d’activité de l’entreprise rapporté au nombre d’employés, montre que la seule détention de marques déposées, en l’absence d’autres actifs immatériels (brevets, dessins et modèles), est un facteur de dynamisme puissant, puisque le revenu en est augmenté de 56 % par rapport aux entreprises ne disposant d’aucun actif relevant de la propriété intellectuelle. Ce facteur est encore plus puissant dans les PME, où le « bonus » atteint 67 % .

Combinés, les différents actifs immatériels confèrent encore plus de performance, mais parmi eux les marques déposées, nationales ou européennes, exercent globalement un effet décisif. Car si elles ne sont pas toujours individuellement un levier financier aussi puissant que les brevets, elles sont cinq fois plus répandues. Autrement dit, elles représentent un actif immatériel beaucoup plus accessible : moins de 1 % des PME de l’échantillon détiennent des brevets, ou des dessins & modèles au sens du droit de la propriété intellectuelle, mais plus de 8 % d’entre elles détiennent des marques (55 % dans les entreprises de plus de 250 salariés).

Forte exposition à la concurrence

Dans l’univers de la grande consommation, les entreprises de marques sont concurrencées par les marques de distributeurs (MDD). Entre les unes et les autres, leur surcroît de performance fait des entreprises de marques des pionnières de l’innovation. Les MDD, en effet, ne sont pas des moteurs d’innovation, de par leur modèle8 même : couvrir leurs coûts en répondant au cahier des charges qui leur est prescrit par l’acheteur, qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs enseignes, afin de constituer, dans la plupart des cas, une offre d’entrée de gamme. Les entreprises de marques, situées au cœur et en haut de gamme et plus exposées à la concurrence, ont, elles, vocation à innover. Et les plus grandes d’entre elles, par la notoriété de leurs marques et du fait de la part de marché qu’elles occupent, à orienter les marchés dans les « transitions » souhaitables des modèles de consommation. C’est ainsi qu’elles innovent dans les emballages, la décarbonation de leur production, le soutien à des transitions agricoles dans leurs filières ou les moyens de dialoguer avec les consommateurs.

Les entreprises de marques réunies à l’Ilec comptent la plupart des plus grandes ainsi que des ETI. L’examen de leur poids économique est révélateur du dynamisme que leur modèle imprime dans leur secteur et au-delà, ainsi que de leur valeur ajoutée sociale. L’étude conduite en 2016 sur des données Insee 2015 par le cabinet Utopies pour l’Ilec, actualisée en 2021, montre ainsi que les emplois directs des entreprises de marques réunies à l’Ilec et leur millier de sites, dont quatre sur dix sont des sites de production, implantés dans 95 % des départements français, sont pour plus de 86 % des emplois en CDI, au lieu de 83,4 % en moyenne nationale tous secteurs, et qu’ils sont à 89,6 % des emplois à temps complet, au lieu de 81,2 % tous secteurs.

Modèle porteur au-delà de sa sphère d’activité

Les entreprises de marques ont aussi pour caractéristique de présenter une capacité d’entraînement élevée. La même étude Utopie de 2016 montrait que l’activité des établissements de l’Ilec et de leurs emplois directs avait un effet multiplicateur moyen, en France, de 3,65 (4,55 pour les seuls sites de production). Autrement dit, un emploi dans les établissements de l’Ilec en soutient 2,65 de plus dans le reste de l’économie française : emplois indirects (fournisseurs au premier ou second degré), emplois induits (par les rémunérations qu’elles versent et les impôts qu’elles acquittent) ou emplois correspondant à la part de leurs produits commercialisés dans le temps de travail consacré à leur revente finale.

Ce coefficient de 3,65 situe ces entreprises dans le haut des branches industrielles. Il n’est bien sûr qu’une moyenne, mais l’effet d’entraînement qu’il illustre s’exerce peu ou prou dans la quasi-totalité des secteurs de l’économie. Parmi les retombées de l’activité des entreprises de marques ne figurent pas seulement, comme on est d’abord porté à le penser, les emplois qu’elle soutient dans l’agriculture, les matériaux d’emballage, l’équipement industriel ou le transport. Plus spécifiquement, leur forte exposition à la concurrence porte ainsi ces entreprises à être des acteurs primordiaux du marché de la publicité. En tant qu’annonceurs, elles jouent par conséquent un rôle majeur dans les revenus de la presse, quotidienne, magazine ou audiovisuelle, et incidemment dans la création et la production cinématographique ou télévisuelle.

Conditions de marché disparates dans l’UE

Dans l’industrie de « biens manufacturés » (au sens de la nomenclature Nace de l’UE, qui inclut entre autres les produits de grande consommation alimentaires et non alimentaires), la proportion d’entreprises détentrices de marques, toutes tailles confondues, s’élève à 12,5 %  : 11,7 % en France, à peu près comme au Royaume-Uni (12 % ), plus qu’en Italie (4 % ) en Belgique ou en Pologne (10 % ), mais moins qu’au Portugal (14,3 % ) ou qu’en Allemagne (14 % ).

La France se situe à un bon niveau, et le secteur des produits de grande consommation y contribue par un grand nombre d’entreprises, petites ou grandes, notamment dans le secteur agro-alimentaire. Les MDD y ont moins de poids qu’au Royaume-Uni ou qu’en Allemagne. Mais la prime à la performance des entreprises de marques qui se vérifie dans toute l’Europe est toutefois conditionnée à la capacité de ces entreprises à valoriser leurs actifs immatériels sur le marché. Quand les marques de PGC sont en butte à la guerre des prix entre enseignes – puisque c’est par elles que les enseignes se comparent et se concurrencent –, leur capacité à faire valoir ces actifs s’amenuise, voire disparaît. Pour qu’elles demeurent promesse de performance au service d’objectifs de réindustrialisation et de souveraineté, les entreprises de marques doivent être défendues comme telles.

[1] Intellectual property rights and firm performance in the European Union Firm-level analysis report, February 2021.     .

François Ehrard

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