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Information sur les PGC : comment renforcer la confiance

08/04/2022

Organisée le 15 décembre 2021 par l’Afise, l’Ania, la Fébea et l’Ilec , en partenariat avec les Échos et le Parisien Événements, une conférence a réuni des représentants des organisations professionnelles, associations de consommateurs, juristes et autorités publiques (DGCCRF, Anses), pour un bilan des dispositifs d’information des consommateurs, et les pistes pour les améliorer. Retour sur une matinée de témoignages et de débats.*

Les consommateurs veulent toujours plus d’informations et de transparence sur les produits qu’ils consomment, afin d’être guidés dans leurs choix. Ils attendent des entreprises qu’elles répondent à cette exigence et dans le même temps ils se tournent vers des tiers de confiance, leurs pairs, les applications de notation et les associations de consommateurs… Mais de quelle transparence parle-t-on ? Comment être transparent quand la défiance à l’égard de toutes les cautions  (État et pouvoirs publics, scientifiques, médias) gagne sans cesse du terrain ? Quand les réglementations, les procédures et les contrôles les plus rigoureux du monde ne suffisent plus à rassurer ? Quand les nouveaux tiers de confiance, comme les applications de notation, sont eux-mêmes questionnés sur leurs méthodes et leur objectivité ? Est-ce que la surabondance des informations, note et labels sur les produits ne risque pas de créer une confusion chez les consommateurs, et in fine de rendre leurs choix de consommation plus difficiles ? Dans ces circonstances, comment les entreprises et les pouvoirs publics peuvent-ils renforcer la confiance, et comment répondre à cette exigence en évitant les dérives d’une transparence hors de toute régulation ?

Exigence de transparence plus forte et globale que jamais

Directrice générale de l’Observatoire Société & Consommation (ObSoCo), Guénaëlle Gault voit dans une société d’« hyperchoix » un consommateur formé, plus informé, plus expert, plus critique, donc plus exigeant. Qui, devant la crise écologique, se montre soucieux et plus vulnérable, en particulier concernant sa santé. Et qui souhaite, par ses choix de consommation, contribuer aux évolutions sociales.

Richard Panquiault, pour l’Ilec, observe qu’en matière de transparence les attentes des consommateurs sont devenues plus globales. Elles portent sur le produit, sa composition et son origine – avec une forte demande pour le naturel, le local, l’authentique, tendances renforcées par la crise sanitaire –, mais aussi sur l’engagement sociétal des marques – le succès de C’est qui le Patron illustrant ce tournant, et de plus en plus sur les marques en tant qu’employeurs.

Emmanuel Treuil, directeur des affaires réglementaires et de la nutrition de Savencia, confirme que les consommateurs demandent davantage de transparence sur ce que les produits portent en matière de responsabilité sociétale. Cet élargissement des attentes est ainsi résumé par Fabrice Lundy, journaliste aux Échos : « Les marques sont passées d’une génération de valeur à une génération de valeurs et de sens. »

Pour Philippe Goetzmann, consultant, les entreprises s’adaptent, conscientes de l’évolution des aspirations des consommateurs. Ont-elles le choix ? Dans un contexte de judiciarisation croissante, les marques vont devoir répondre précisément de leurs engagements, estime Nicolas Genty, avocat au cabinet Loi & Stratégies.

Moyens de la transparence

Les étiquetages, les notes, les pictogrammes se multiplient sur les produits de grande consommation, et les applications de notation fleurissent. Si l’objectif est plus de transparence pour éclairer les choix, la transparence n’est pas optimale aujourd’hui.

En matière d’alimentation, de cosmétique ou d’hygiène, la France dispose d’un haut standard de qualité. Le corpus réglementaire français est ancien et riche, et la réglementation européenne est l’une des plus rigoureuses.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail assure des missions de veille, d’expertise et de recherche afin de protéger les consommateurs, rappelle Matthieu Schuler, son directeur général délégué « Sciences pour l’expertise ». L’Agence mène une action de fond auprès des pouvoirs publics et des agences européennes, et porte une grande attention à la coordination d’actions de vigilance.

Algorithmes divergents

Or il y a un risque de confusion chez les consommateurs. Trop d’infos tue l’info. Les consommateurs, estime Emmanuel Treuil, sont souvent perdus face à la multiplication des signes, labels et autres logos sur les produit, dont la lecture et la compréhension demandent du temps. De surcroît, les applications de notation sont des tiers de confiance que les consommateurs considèrent comme détenteurs de la vérité, mais leurs informations sont souvent contradictoires, pas toujours fiables, voire sans rationalité.

Ainsi, les systèmes de notation environnementale Éco-Score et Planet-Score ne sont pas construits à partir d’indicateurs et algorithmes identiques. Pour un même produit, ils ne délivrent pas la même note. Toutes les applications ne mesurent pas la même chose. En matière alimentaire, le Nutri-Score note la qualité nutritionnelle, ScanUp le degré de transformation des produits, et Yuka un mix des deux critères. Comment s’y retrouver ?

Unités de référence discutables

Le Nutri-Score – qui note de A à E la qualité nutritionnelle des produits et affiche, en fonction, un code couleur du vert foncé à l’orange foncé – est pertinent pour certains produits, reconnaît Emmanuel Treuil, mais il a des limites. Par exemple, il ne prend pas en compte les associations d’aliments. Aussi, une saucisse, classée rouge, sera classée verte associée à des lentilles. Il attribue une note pour 100 grammes de produit sans considération des portions en usage ; or en cuisine, si un produit contient du beurre, il ne s’agit pas forcément de 100 grammes.

Ce manque de fiabilité a des conséquences sur la santé des consommateurs. Pour Philippe Goetzmann, nombre d’outils sont construits à partir de données partiales et partielles, ou avec des algorithmes discutables scientifiquement. Un certain nombre de metteurs en marché suivent ces critères dans la conception du produit pour obtenir la meilleure note, et incidemment développent des recettes qui ne répondent pas forcément au mieux aux enjeux de santé publique.

La maîtrise des données en question

Pour Jérôme François, directeur général de NumAlim, première plateforme de données pour les filières agroalimentaires, la maîtrise de leurs propres données par les industriels est leur grand défi. Alors qu’il est fondamental pour les systèmes de notation de disposer d’un « jumeau numérique » du produit physique, nombre d’entreprises saisissent et gèrent encore leurs données au moyen d’outils dépassés, qui ne garantissent pas un fonctionnement optimal des algorithmes.

Pas de profil de consommation unique

Jérôme François ajoute que le sur-mesure fait largement défaut dans les applications de notation. Elles proposent une note unique par produit, sans tenir compte de la diversité des profils des consommateurs. Or sous l’aspect sanitaire, l’alimentation doit s’adapter aux particularités de chacun, incluant les affections chroniques, diabète, hypertension, allergies et autres.

Biais méthodologiques

À propos des biais qui peuvent induire en erreur les utilisateurs, Laurence Coiffard, cofondatrice du site Regard sur les cosmétiques et les produits solaires, remarque qu’une très mauvaise note donnée par une application à un dentifrice fluoré orientera le consommateur vers un produit bio sans fluor, qui ne répondra plus au problème de santé posé – le traitement des caries.

Autre illustration, les produits solaires. Céline Couteau, docteur en cosmétologie à l’université de Nantes, juge dommageable pour la santé que nombre de filtres UV, pourtant validés par des études toxicologiques, soient classés rouges par les applications. Les avis mentionnés plébiscitent en revanche deux ou trois filtres qui ne sont pas forcément les plus protecteurs.

D’abord les recettes

En matière alimentaire, le problème ne relève plus d’abord des questions sanitaires ou hygiéniques, mais de la qualité nutritionnelle des aliments transformés, qui pour relever le goût s’appuient sur le gras, le sucre et le sel, des produits peu onéreux, analyse Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que choisir. Pour lui, améliorer les recettes et moraliser le marketing sont les premières demandes des nutritionnistes, pas le Nutri-Score, qui reporte la responsabilité sur les consommateurs. La France manque selon lui de courage politique en la matière, contrairement au Royaume-Uni, qui a pris des mesures réglementaires.

Flou juridique

Certes, les informations inscrites sur les produits de grande consommation se multiplient, mais toutes ne sont pas obligatoires, précise Nicolas Genty, pour qui la réflexion n’est pas menée sur la compréhension réelle de l’information par les consommateurs : tout le monde ne sait pas décrypter le symbole graphique représentant un pot de cosmétique ouvert avec un nombre de mois écrit au-dessous (durée de vie utile d’un produit après son ouverture).

Risque de fracture sociale

« Le consommateur n’existe pas ! », lance Philippe Goetzmann, qui voit un risque de consommation à plusieurs vitesses, générateur de fracture sociale. D’un côté, une catégorie de population « sachante, comprenant ce qu’il y a derrière les scores et pouvant piloter sa consommation ». De l’autre, une partie de la population qui pourrait « soit suivre aveuglément des scores sans les comprendre, et c’est un vrai danger, soit simplement continuer sa consommation comme avant, car c’est une consommation sous un très fort niveau de contrainte, et donc vivre une consommation qui serait stigmatisée ».

Enquête sur les applis

Pierre Chambu, chef de service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF, indique que cette administration enquête sur les applications à disposition des consommateurs en grande consommation. Si les conclusions ne sont pas encore publiées, le premier constat atteste d’une marge de progrès non négligeable de ces outils. Pierre Chambu précise les trois axes de l’enquête :

  1.  L’indépendance capitalistique de ces applications vis à vis des industriels – aucune difficulté n’a pour l’instant été identifiée sur ce point ;
  2.  La fiabilité des sources d’information, la DGCCRF constatant un taux d’erreur « significatif » ;
  3. L’objectivité de l’évaluation, et l’existence de biais, comme le fait de classer ou non les produits lactés dans la catégorie « Boissons ».

Pierre Chambu livre deux réflexions sous forme interrogative : ces applications sont-elles suffisamment transparentes dans leur façon de travailler, et quelles conséquences tirer du caractère non exhaustif d’une évaluation ?

Difficultés du Toxi-Score

Les étiquettes des produits ménagers sont peu lisibles et peu lues, mais Sonya Gospodinova, porte-parole de la Commission européenne, explique pourquoi Bruxelles ne recommande pas la mise en place d’un « Toxi-Score » à l’échelle de l’UE. La complexité de l’étiquetage s’explique par la juxtaposition de trois réglementations. Lors du lancement presse du PNSE4, la mise en place d’un « Toxi-Score » sur les produits ménagers a été annoncée par le gouvernement à partir de 2022, pour informer les consommateurs sur les risques liés à l’utilisation  ce produit. La Commission a déjà adopté un dispositif législatif pour protéger le consommateur, et l’étiquetage numérique ainsi qu’une information sur la durabilité des produits sont attendus Devant le risque de multiplier les initiatives parallèles, à ce stade la Commission ne recommande donc pas la mise en place d’un Toxi-Score à l’échelle européenne.

Au-delà de la transparence, la confiance

Selon Guénaëlle Gault, la transparence est un piège, quand la multiplication des labels et des signes crée de la confusion. La vraie question est celle de la confiance, qui repose, du côté de ce que peuvent faire les industriels, sur la compétence, l’intégrité et la bienveillance.

Pour Pierre Chambu aussi, la confiance est fondamentale, car elle a un effet sur le fonctionnement des marchés et la valeur d’une marque. Un déficit de confiance a des conséquences en chaîne jusque sur l’emploi. Le succès d’une marque, confirme Richard Panquiault, est fondamentalement lié au contrat de confiance qu’elle noue avec les consommateurs.

Pour autant, des pistes s’ouvrent pour renforcer la confiance entre les consommateurs et les marques. Richard Panquiault insiste sur les opportunités offertes par le digital. Et de reconnaître que Yuka a joué un rôle d’accélérateur pour les consommateurs et les entreprises, même si l’application s’est parfois affranchie des contraintes réglementaires et éthiques qui s’imposent aux marques. Les outils digitaux facilitent le partage d’informations précises, à l’instar de la blockchain mise en place par Mousline, qui permet, en scannant un QR code, de connaître le producteur de pommes de terre à l’origine de la purée vendue.

Demain, la fiabilité des données renforcée

Pour Philippe Goetzmann, si le système de notation est souvent considéré comme un aiguillon pour les consommateurs, dans les faits il sert plutôt les équipes de R&D. En effet, plus le système de notation est juste et scientifiquement solide, meilleure sera la recette proposée par les entreprises, qui cherchent à obtenir pour leur produit la meilleure note dans un rayon. Une démarche vertueuse.

Pour s’y engager, il est fondamental que les industriels sourcent directement leurs données, relatives au processus de production et d’acheminement du produit jusqu’au point de distribution. Pour Emmanuel Treuil, il relève de la responsabilité des metteurs en marché de partager des informations fiables avec l’ensemble des acteurs : consommateurs, distributeurs, pouvoirs publics, applications de notation.

Olivier Andrault estime que les industriels n’ont rien à craindre : si les applications sont bien faites et fondées sur des données solides – produites par les industriels et non par les consommateurs –, le processus est gagnant-gagnant. Il y a quelques années, les céréales pour enfants étaient classées D par le Nutri-Score. Les clients ont fait pression sur les marques ;aujourd’hui, elles sont classées B, voire A. Quand une partie des consommateurs est prête à changer son acte d’achat en fonction des informations disponibles, les services de R&D améliorent les recettes.

Le sur-mesure à disposition

Bientôt, toujours grâce au digital, il sera possible de pondérer les scores attribués par les applications, en fonction des préoccupations et des besoins des consommateurs, ajoute Richard Panquiault. Jusqu’à présent, les systèmes de notation ont proposé une note unique par produit, quel que soit le profil de de l’utilisateur. Mais avec l’initiative MyLabel, qui mise sur la personnalisation, observe Nicolas Genty, le consommateur peut choisir un certain nombre de critères (santé, social, environnemental) avant de scanner le produit : l’application lui indiquera par un code couleur comment se situe le produit selon les critères sélectionnés.

Une question d’éducation

Pour un objectif de santé publique, estime Emmanuel Treuil, l’information ne suffit pas à faire évoluer en douceur les comportements. L’éducation reste nécessaire en matière d’équilibre nutritionnel. L’initiative “#PositiveFood” de Savencia permet ainsi de ne pas opposer plaisir et santé. Elle privilégie un modèle alimentaire diversifié et des menus à base de produits naturels ou le moins transformés possible. Autres pistes, proposer le Nutri-Score pour des recettes, ou des informations sur la part de végétal contenue dans un plat. Philippe Goetzmann va dans le même sens : la clé de la confiance repose aussi sur la compréhension par le consommateur de son acte d’achat.

Même responsabilité pour les professionnels et les tiers de confiance

Sur le plan juridique, l’ensemble des acteurs, professionnels et tiers de confiance, doivent être soumis à la même responsabilité, analyse Nicolas Genty. Concrètement, il s’agit pour les applications de notation – qui ont une influence très forte en matière de recommandation de produits – de s’engager sur la fiabilité des informations partagées avec les consommateurs, concernant leur propre financement et les algorithmes auxquels elles recourent pour attribuer des notes. En cas d’information fausse ou tronquée, des sanctions doivent être prévues. De cette façon, la montée en gamme de tous les acteurs profitera aux consommateurs.

Nécessaire coopération des parties prenantes

Emmanuel Treuil en appelle au dialogue entre tous les opérateurs, pour gagner en cohérence et en rationalité, et offrir aux consommateurs des données fiables, scientifiques et sur mesure, leur permettant un choix éclairé dans l’univers des PGC. NumAlim constitue un exemple à suivre en matière de gouvernance, complète Richard Panquiault, puisqu’à son tour de table se retrouvent les représentants des consommateurs, les distributeurs, les agriculteurs et les industriels.

Pierre Chambu mentionne aussi le Conseil national de la consommation (CNC), qui favorise le dialogue et le rapprochement des points de vue. Il annonce que de nouveaux travaux sur les applications vont être lancés en 2022 dans le cadre de cet organisme consultatif. Et se montre confiant sur le fait que le CNC pourra élaborer des recommandations utiles à l’attention des acteurs économiques et des consommateurs.

* Cf. en vidéo : https://www.ilec.asso.fr/videos/17885.

Elabe – Ilec FE

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